Ce texte, qui commence à ressembler à ce que sera la thèse que je prépare dans son contenu, est une proposition de votre serviteur et de son directeur au congrès de l'Association Française de Sociologie qui aura lieu la première semaine de juillet à Grenoble. Comme cette réunion va être une sorte d'énorme réunion de tous ce que la France peut compter de sociologues, docteurs et doctorants, si quelqu'un n'aime pas la sociologie, cette personne a là un moyen de se débarrasser d'une bonne part de ces chercheurs ! La proposition vaut pour la session commune aux groupes RT31 (Sociologie des activités physiques et sportives) et GT41 (Corps, techniques et société)
Bonne lecture !
Grenoble 2011
Proposition P. Régnier, S. Héas, janvier 2011, RT 31 et GT 41 :
Résumé court :
Les activités équestres basées sur la monte à cheval font partie de nos sociétés occidentales depuis le Moyen-Age. Apanage des milites – les futurs chevaliers – durant cette période, puis de la Noblesse jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'équitation s'est, depuis sa massification et la fin de son trust par l'armée, développée en se féminisant. Classée parmi les pratiques de pleine nature, son évolution laisse plutôt envisager cette discipline comme un art de combat, un art martial devenu au fil du temps un sport. Les moniteurs d'équitation, parmi toutes les activités recensées à la FFE, ont le choix de privilégier telle ou telle modalité de pratique (saut d'obstacle, dressage, hunter, équitation éthologique, complet, cross, etc.).
Quoique différentes, ces pratiques n'en restent pas moins similaires dans leur corporéité, dans leur placement corporel, fixés pour ainsi dire depuis la fin du XIXe siècle, à la faveur d'un ralentissement des innovations techniques du matériel d'équitation (selle à arçon et étriers définissent la manière de monter depuis lors). La différenciation naissante des activités équestres symbolisée par la lutte qui opposa le Comte d'Aure et Baucher a débouché sur une multitude de pratiques. L'analyse des entretiens de moniteurs d'équitation et pratiquants actuels d'une activité pour le moins individuelle voire égotiste nous permet d'évaluer une pratique à la forme corporelle définie depuis plus d'un siècle et ses répercussions sur un mode de vie d'aujourd'hui, différent des perceptions sociales classiques de nos contemporains.
Résumé long :
Qu'est-ce que « faire de l'équitation » aujourd’hui ? Quelles sont les enjeux d'une pratique à laquelle a priori seule une élite a accès ? Pourquoi s'intéresser, en ce début de XXIe siècle à une pratique tellement ancienne ? Jean-Pierre Digard réagit justement à cette relative faiblesse des études en sciences humaines sur ce domaine (2009). En effet, les études portant en sciences sociales sur l'équitation semblent pour la plupart émerger à peine depuis quelques années (Chevalier, Le Mancq, 2010). Les relations entre l'homme et le cheval, au départ simplement de chasseur à proie, datent du Néolithique et très vite la représentation que l'homme aura du cheval sera interprétée comme celle des vertus guerrières à acquérir (Digard, 2007). Dès l'Antiquité, la maîtrise des techniques équestres apparait suffisamment importantes pour mériter les écrits d'écuyers célèbres, tels que ceux de Xénophon, le seul d'entre eux à être parvenu jusqu'à nous. Suite à la fin de l'Empire Romain, et à la disparition de nombreuses techniques y compris équestres, monter et posséder un équidé est l'apanage des milites, guerriers dont les armes sont la lance, l'épée et bien sûr le cheval (Carbonell, 1999). Du Moyen-Age à la Renaissance, les aristocrates succèdent aux chevaliers, et progressivement mener un cheval, c'est mener un peuple et Pluvinel écrit sa méthode d'équitation à destination du Roi (Franchet d'Espèrey, 2007). D'autres lui succèderons ensuite, formant une série de « grands maîtres » de la discipline. La monte devient un outil pour briller à la Cour, alors que les nobles tendent à s'y retrouver sous l'impulsion du monarque (Elias, 1973). Le carrousel devient la norme et la Haute École se développe tandis que les périodes de guerres se font plus éloignées. Au XIXe siècle, deux mentalités s'affrontent, par le biais de deux personnages qui ont encore de l'écho de nos jours. Prémisse d'une forme de lutte des classes avant l'heure, par le biais de l'ouverture de l'armée à la population, le roturier Baucher tente de se faire un nom face au comte d'Aure, bien né (Lagoutte, 1974).
Les activités équestres sont trustées par l'armée jusqu'au début du XX siècle, puis s'ouvrent progressivement au public. Comme les autres activités physiques, elles deviennent des pratiques sportives, outils nationaux sociaux de contrôle des affects (Elias, Dunning, 1994). Ce passage « naturel », en tous cas logique dans le champ sportif permet peut être d'expliquer la raison pour laquelle ces pratiques n'ont que peu intéressé les sciences sociales comparativement aux autres pratiques sportives. Leur évolution, leur histoire guerrière puis sportive nous invite à considérer ce type d'activité non pas comme des activités physiques de pleine nature (APPN), telles qu'elles sont aujourd'hui classées, au même titre que la voile, l'escalade ou le rafting. En effet, au regard de son histoire, l'équitation pourrait plutôt être considérée comme un art de combat, avec une subdivision entre les sports de combat, pratiques sportives, fédérées et compétitives, et les arts martiaux, pratiques non sportives, dont le but est avant tout corporel, avec une idée de progression personnelle, non compétitive et hédoniste (Audiffren & Crémieux, 1996). Il est possible de les appréhender en terme de continuum de pratiques, allant de l'un à l'autre des pôles précités, tel que nous l'avions proposé pour les arts de combat asiatiques (Régnier, 2002). Un certain nombre de recherches historiques ont mis en évidence des « arts martiaux historiques européens » (AMHE), nommés historiques car ayant aujourd'hui ont disparu, que les chercheurs concernés tentent de reconstituer (Cognot, Jaquet, 2010). Ainsi l'équitation serait l'une des seules pratiques d'origine guerrière à être parvenue jusqu'à nous pratiquement dans son usage d'origine, à l'exception des évolutions techniques ayant permis l'invention successive de la selle puis des étriers, ainsi que des variations territoriales : selle portugaise, anglaise, mixte, de dressage...(Digard, 2007). Et encore, les techniques de monte à cru, sans selle, font partie des apprentissages de base du cavalier.
La rencontre des professionnels du milieu, des cavaliers de concours, des dresseurs, des éleveurs permet de se faire une idée moins conventionnelle de ce milieu, qui se révèle moins souvent que l'on pourrait le penser un milieu (dé)tenu par les catégories sociales les plus aisées. Néanmoins, nous pouvons constater une prégnance de l'argent dans certaines catégories du milieu équestre, et plus particulièrement dans le milieu de la compétition. On constate parmi les enquêtés compétiteurs une difficulté, soumise à l'aspect financier lorsque leurs performances leur permettent d'atteindre de plus hauts niveaux de compétition. Les pratiquants ainsi aux marges des milieux financiers partent en quête de soutiens, de sponsors par leurs propres moyens (Becker, 1985). La principale différence entre l'équitation et les autres APPN réside dans le rapport corporel qui préexiste entre le cavalier et sa monture. Le premier, par sa gestuelle propre, intervient directement sur le fonctionnement de la seconde. Certes, le navigateur intervient directement sur la barre, qui modifie la façon d'agir du bateau. Les actions du marin vont être fonction de ce que son environnement direct lui impose de faire. Il en va de même dans l'équitation à une différence près : le cheval est un être vivant, disposant d’actions et de réactions propres, si ce n’est d'un libre arbitre. C'est surtout un animal-proie dont la fuite est le premier des réflexes, au moindre élément nouveau ou perturbateur de l'environnement. C'est d'abord contre lui ou avec lui – parfois même malgré lui – que l'interaction se produit. L'apprentissage du cavalier vise à une meilleure maîtrise des techniques corporelles qui vont lui permettre d'interagir efficacement avec sa monture. En outre, le cheval nécessite un dressage. Celui-ci va lui permettre de comprendre les actions du cavalier. La relation de l'un à l'autre constitue un apprentissage permanent, réciproque parfois. Le pratiquant doit monter plusieurs chevaux, de taille et de niveau variés afin lui-même de progresser. Si celui-ci possède sa propre monture, il lui sera nécessaire de la faire travailler afin de lui permettre, à elle aussi, de progresser. Ainsi découvrons-nous une pratique très subtile où la moindre modification de la position « dans la selle », expression type de pratiquant, du moindre faux-mouvement, telle qu'une main trop tirée en arrière qui pourra provoquer le cabré de la monture via l'action des rennes sur le mors, aura des conséquences désastreuses. Les cavaliers se dirigent ainsi vers une maîtrise technique qui pour certains tendrait vers l'excellence, celle-ci étant le plus souvent validée par des résultats sportifs. Mais toujours prédomine dans le discours cette notion de progression personnelle, de recherche d'une amélioration constante qui peut, à l'instar des pratiques de combat asiatiques, demander une vie entière. L'étude du vécu d’un variété des pratiquants contemporains d'une pratique présente dans nos sociétés depuis plusieurs siècles, révèle des recherches personnelles originales, des voies intimes corporelles similaires à ce que des pratiques de combat asiatiques proposent : un mode de rapport au corps, au monde, éminemment égotiste et peut être égoïste (Lebreton, 1994) dans cette société où la recherche du plaisir est devenue la valeur dominante de nos sociétés modernes (Travaillot, 1998).
Bonne lecture !
Grenoble 2011
Proposition P. Régnier, S. Héas, janvier 2011, RT 31 et GT 41 :
Résumé court :
Les activités équestres basées sur la monte à cheval font partie de nos sociétés occidentales depuis le Moyen-Age. Apanage des milites – les futurs chevaliers – durant cette période, puis de la Noblesse jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'équitation s'est, depuis sa massification et la fin de son trust par l'armée, développée en se féminisant. Classée parmi les pratiques de pleine nature, son évolution laisse plutôt envisager cette discipline comme un art de combat, un art martial devenu au fil du temps un sport. Les moniteurs d'équitation, parmi toutes les activités recensées à la FFE, ont le choix de privilégier telle ou telle modalité de pratique (saut d'obstacle, dressage, hunter, équitation éthologique, complet, cross, etc.).
Quoique différentes, ces pratiques n'en restent pas moins similaires dans leur corporéité, dans leur placement corporel, fixés pour ainsi dire depuis la fin du XIXe siècle, à la faveur d'un ralentissement des innovations techniques du matériel d'équitation (selle à arçon et étriers définissent la manière de monter depuis lors). La différenciation naissante des activités équestres symbolisée par la lutte qui opposa le Comte d'Aure et Baucher a débouché sur une multitude de pratiques. L'analyse des entretiens de moniteurs d'équitation et pratiquants actuels d'une activité pour le moins individuelle voire égotiste nous permet d'évaluer une pratique à la forme corporelle définie depuis plus d'un siècle et ses répercussions sur un mode de vie d'aujourd'hui, différent des perceptions sociales classiques de nos contemporains.
Résumé long :
Qu'est-ce que « faire de l'équitation » aujourd’hui ? Quelles sont les enjeux d'une pratique à laquelle a priori seule une élite a accès ? Pourquoi s'intéresser, en ce début de XXIe siècle à une pratique tellement ancienne ? Jean-Pierre Digard réagit justement à cette relative faiblesse des études en sciences humaines sur ce domaine (2009). En effet, les études portant en sciences sociales sur l'équitation semblent pour la plupart émerger à peine depuis quelques années (Chevalier, Le Mancq, 2010). Les relations entre l'homme et le cheval, au départ simplement de chasseur à proie, datent du Néolithique et très vite la représentation que l'homme aura du cheval sera interprétée comme celle des vertus guerrières à acquérir (Digard, 2007). Dès l'Antiquité, la maîtrise des techniques équestres apparait suffisamment importantes pour mériter les écrits d'écuyers célèbres, tels que ceux de Xénophon, le seul d'entre eux à être parvenu jusqu'à nous. Suite à la fin de l'Empire Romain, et à la disparition de nombreuses techniques y compris équestres, monter et posséder un équidé est l'apanage des milites, guerriers dont les armes sont la lance, l'épée et bien sûr le cheval (Carbonell, 1999). Du Moyen-Age à la Renaissance, les aristocrates succèdent aux chevaliers, et progressivement mener un cheval, c'est mener un peuple et Pluvinel écrit sa méthode d'équitation à destination du Roi (Franchet d'Espèrey, 2007). D'autres lui succèderons ensuite, formant une série de « grands maîtres » de la discipline. La monte devient un outil pour briller à la Cour, alors que les nobles tendent à s'y retrouver sous l'impulsion du monarque (Elias, 1973). Le carrousel devient la norme et la Haute École se développe tandis que les périodes de guerres se font plus éloignées. Au XIXe siècle, deux mentalités s'affrontent, par le biais de deux personnages qui ont encore de l'écho de nos jours. Prémisse d'une forme de lutte des classes avant l'heure, par le biais de l'ouverture de l'armée à la population, le roturier Baucher tente de se faire un nom face au comte d'Aure, bien né (Lagoutte, 1974).
Les activités équestres sont trustées par l'armée jusqu'au début du XX siècle, puis s'ouvrent progressivement au public. Comme les autres activités physiques, elles deviennent des pratiques sportives, outils nationaux sociaux de contrôle des affects (Elias, Dunning, 1994). Ce passage « naturel », en tous cas logique dans le champ sportif permet peut être d'expliquer la raison pour laquelle ces pratiques n'ont que peu intéressé les sciences sociales comparativement aux autres pratiques sportives. Leur évolution, leur histoire guerrière puis sportive nous invite à considérer ce type d'activité non pas comme des activités physiques de pleine nature (APPN), telles qu'elles sont aujourd'hui classées, au même titre que la voile, l'escalade ou le rafting. En effet, au regard de son histoire, l'équitation pourrait plutôt être considérée comme un art de combat, avec une subdivision entre les sports de combat, pratiques sportives, fédérées et compétitives, et les arts martiaux, pratiques non sportives, dont le but est avant tout corporel, avec une idée de progression personnelle, non compétitive et hédoniste (Audiffren & Crémieux, 1996). Il est possible de les appréhender en terme de continuum de pratiques, allant de l'un à l'autre des pôles précités, tel que nous l'avions proposé pour les arts de combat asiatiques (Régnier, 2002). Un certain nombre de recherches historiques ont mis en évidence des « arts martiaux historiques européens » (AMHE), nommés historiques car ayant aujourd'hui ont disparu, que les chercheurs concernés tentent de reconstituer (Cognot, Jaquet, 2010). Ainsi l'équitation serait l'une des seules pratiques d'origine guerrière à être parvenue jusqu'à nous pratiquement dans son usage d'origine, à l'exception des évolutions techniques ayant permis l'invention successive de la selle puis des étriers, ainsi que des variations territoriales : selle portugaise, anglaise, mixte, de dressage...(Digard, 2007). Et encore, les techniques de monte à cru, sans selle, font partie des apprentissages de base du cavalier.
La rencontre des professionnels du milieu, des cavaliers de concours, des dresseurs, des éleveurs permet de se faire une idée moins conventionnelle de ce milieu, qui se révèle moins souvent que l'on pourrait le penser un milieu (dé)tenu par les catégories sociales les plus aisées. Néanmoins, nous pouvons constater une prégnance de l'argent dans certaines catégories du milieu équestre, et plus particulièrement dans le milieu de la compétition. On constate parmi les enquêtés compétiteurs une difficulté, soumise à l'aspect financier lorsque leurs performances leur permettent d'atteindre de plus hauts niveaux de compétition. Les pratiquants ainsi aux marges des milieux financiers partent en quête de soutiens, de sponsors par leurs propres moyens (Becker, 1985). La principale différence entre l'équitation et les autres APPN réside dans le rapport corporel qui préexiste entre le cavalier et sa monture. Le premier, par sa gestuelle propre, intervient directement sur le fonctionnement de la seconde. Certes, le navigateur intervient directement sur la barre, qui modifie la façon d'agir du bateau. Les actions du marin vont être fonction de ce que son environnement direct lui impose de faire. Il en va de même dans l'équitation à une différence près : le cheval est un être vivant, disposant d’actions et de réactions propres, si ce n’est d'un libre arbitre. C'est surtout un animal-proie dont la fuite est le premier des réflexes, au moindre élément nouveau ou perturbateur de l'environnement. C'est d'abord contre lui ou avec lui – parfois même malgré lui – que l'interaction se produit. L'apprentissage du cavalier vise à une meilleure maîtrise des techniques corporelles qui vont lui permettre d'interagir efficacement avec sa monture. En outre, le cheval nécessite un dressage. Celui-ci va lui permettre de comprendre les actions du cavalier. La relation de l'un à l'autre constitue un apprentissage permanent, réciproque parfois. Le pratiquant doit monter plusieurs chevaux, de taille et de niveau variés afin lui-même de progresser. Si celui-ci possède sa propre monture, il lui sera nécessaire de la faire travailler afin de lui permettre, à elle aussi, de progresser. Ainsi découvrons-nous une pratique très subtile où la moindre modification de la position « dans la selle », expression type de pratiquant, du moindre faux-mouvement, telle qu'une main trop tirée en arrière qui pourra provoquer le cabré de la monture via l'action des rennes sur le mors, aura des conséquences désastreuses. Les cavaliers se dirigent ainsi vers une maîtrise technique qui pour certains tendrait vers l'excellence, celle-ci étant le plus souvent validée par des résultats sportifs. Mais toujours prédomine dans le discours cette notion de progression personnelle, de recherche d'une amélioration constante qui peut, à l'instar des pratiques de combat asiatiques, demander une vie entière. L'étude du vécu d’un variété des pratiquants contemporains d'une pratique présente dans nos sociétés depuis plusieurs siècles, révèle des recherches personnelles originales, des voies intimes corporelles similaires à ce que des pratiques de combat asiatiques proposent : un mode de rapport au corps, au monde, éminemment égotiste et peut être égoïste (Lebreton, 1994) dans cette société où la recherche du plaisir est devenue la valeur dominante de nos sociétés modernes (Travaillot, 1998).