Pour ceux qui seraient intéressés, je me pose une grosse question méthodologico-théorique qu'il faut que je résolve avant de pouvoir continuer.
Selon la théorie proposée par Goffman, les individus en interaction s'envoient des messages verbaux et non verbaux, ces derniers permettant de compléter voire de remplacer le discours verbal.
Le tout s'englobe dans une théorie qui s'appelle l'interactionnisme symbolique, une des quelques grandes théories que j'essaye d'articuler avec le processus de civilisation de Norbert Elias et la confrontation established/outsiders de Becker.
Voilà mon problème :
L'interactionnisme symbolique s'intéresse donc aux échanges de tous types entre des interactants, des individus d'un groupe donné. Mieux, il arrive qu'un individu envoie des signaux pour d'hypothétiques autres qui peuvent ne pas être présents (l'exemple type est celui de l'arrêt de bus. Quand j'attends un bus, j'adopte une attitude qui reflète mon attente du bus, et j'évite autant que possible d'avoir une attitude de gros pervers qui reluque les donzelles)
[1].
L'éthologie équine, pour sa part, s'intéresse uniquement aux interactions qui peuvent se produire entre des chevaux, en excluant parfaitement toute intervention humaine dans leurs relations
[2].
"L'équitation éthologique" telle qu'elle a été dénommée en France dès son arrivée, ou
Natural Horseman ship, pose comme postulat de départ l'étude du comportement équin afin d'utiliser un mode relationnel s'approchant le plus possible de ce que le cheval fait naturellement.
Mais pour le reste ?
Je m'explique. A l'issue du colloque, jeudi dernier, j'ai longuement échangé avec mon directeur de thèse sur un certain nombre de biais qui s'installent insidieusement dans ma recherche, et contre lesquels je dois me défendre et trouver la parade.
Ces biais sont sans doute liés à mon mode de pratique personnel ainsi qu'à certaines "évidences" dont il faudrait se défier.
La notion de spécificité du cheval, par exemple. Digard (2007)
[3] indique que depuis le néolithique le cheval a tenu une place prépondérante dans les sociétés et les époques, pour différentes raisons. Il termine son livre en expliquant qu'avec la modernité le cheval est entré dans l'aire du loisir, du sport, et que le cheval devient
de facto un animal de compagnie (je raccourcis, mais c'est après tout une question, j'avais pas prévu d'écrire un roman). Alors même si le cheval a effectivement eu une place spécifique voire prépondérante dans l'Histoire, qu'est ce qui m'autorise à dire qu'aujourd'hui encore il a une place spécifique?
Si le cheval est un animal de compagnie, qu'est-ce qui le spécifie par rapport au chien, au chat, au cochon d'Inde...?Cela est la première question à laquelle il va me falloir répondre pour pouvoir continuer à avancer. Alors, les fanas d'équitation, j'aime autant vous dire que vous êtes disqualifiés tout de suite pour me répondre, puisque votre discours est aussi biaisé que le mien.
L'équitation, son enseignement tant au cheval qu'au cavalier, tend à permettre à ces derniers d'établir un mode de communication afin de réaliser leurs actions simultanées, ou conséquence l'une de l'autre. Cette communication peut être verbale (on peut codifier les demandes de manière verbale à l'exclusion de toute autre) ou non verbale (il est également possible d'induire une réaction par la seule poussée d'une jambe pour obtenir une réaction...à l'exclusion de tout discours ? J'ai un doute).
Qu'est-ce qui, dans l'absolu, différencie l'apprentissage d'un ordre par le cheval de celui du chien ? Quand j'apprends à mon chien à s'asseoir, en joignant le geste à la parole, je peux lui enseigner les deux types d'ordre, verbal et non verbal. Cette question découle de la précédente. Il me faut donc m'aventurer vers d'autres éthologies pour comprendre peut être quelles relations existent dans une meute de chiens, ou un groupe de chats, pour peut être y trouver une clé.
Hypothèse :Est-ce dans la capacité du cheval à intégrer une multiplicité de savoir-réagir que peut être définie une spécificité ? Le chien ne peut retenir qu'un nombre restreint d'ordres ou d'action, alors que le cheval aurait à priori bien plus de capacités, vu le nombre d'actes réalisables avec lui.
Mais le plus gros du problème réside dans la qualification de la relation entre l'homme et le cheval. L'interaction, je l'ai dit plus haut, est la relation d'un homme à un autre. L'éthologie est l'étude des relations et des actions d'individus d'une même race, l'éthologie équine pour le cheval.
Comment définir de manière définitive, voire originale, la relation entre l'homme et le cheval, de manière scientifique ?Ce sera ma dernière question pour aujourd'hui. Brandt (2004)
[4] tente une approche interactionniste de la communication homme-cheval. Je lis l'article et j'aurai une idée plus précise. Mais si comme le pense mon directeur c'est un risque que de parler d'interactionnisme dans la relation homme-cheval et compte tenu de la démarche méthodologique qui sera la mienne à priori, alors il va falloir que je réfléchisse à une autre conceptualisation des phénomènes que j'entends mettre au jour.
Alors, si vous avez réussi à lire jusqu'au bout ce questionnement initial qui entretemps est devenu ce pavé, et que vous avez une ou deux réponses pertinentes à m'apporter, faites-vous plaisir !
Accessoirement, si tu es une vieille femme qui est saoulée du cheval, tu m'intéresses aussi.