Chapitre 74

Chapitre 74

Dans le night club de Buenos Aires où Tromos a choisi de se venger, celui-ci est parvenu à soudoyer un employé, en se faisant passer pour un amateur de sensations fortes.
Il suit impatiemment le salarié à l’allure louche.
Enfoncé à l’arrière du club, là où les basses détonnent de façon moins assourdissante, il progresse dans une pièce sans lumière.
A l’étroit dans le couloir sombre qu’il traverse, il bute régulièrement contre des cartons remplis de stocks de verres et d’alcool.
Soudain, le barman stoppe sa progression.
Il tâtonne contre le mur.
Puis parvient enfin à trouver l’interrupteur.
Il illumine un escalier en béton qui commence devant eux.
Alors, ils s’enfoncent dans les sous-sols à l’hygiène déplorable.

En s’y engageant, ils croisent un individu, qui remonte en réajustant son pantalon.
Celui-ci salue le guide du Berserker : « Tiens ! Prends ces billets en plus ! Ça valait vraiment le coup. Il était génial celui-là. »
Puis l’inconnu regarde Tromos avec complaisance : « Toi aussi tu viens voir les petits nouveaux ? »
Le barman aux attentions crapuleuses prend congés en reprenant sa route : « Non laisse tomber… Notre ami est là pour tout autre chose ! »

Dans le flou, Tromos déboule enfin dans une grotte clandestine où plusieurs pièces de fortune sont montées à l’intermédiaire de palettes de bois et de bâches plastifiés.
Le sol est terreux et l’air humide.
Les murs sont faits d’un vieux béton craquelé, où quelques graffitis servent de décorations.
Par les trous dans les toiles, l’investigateur reconnaît dans chaque pièce des prostituées, des mallettes d’argent, ou des établis qui servent de laboratoires de fortunes pour quelques dealers de drogue.
Puis, dans la pièce où il est conduit, croyant avoir vu jusqu’ici tout ce qu’il pouvait y avoir de pire en l’homme, il tombe nez à nez avec un petit garçon au corps nu et battu.
Sur ses jambes maigrelettes, coule encore le sang et la honte du monstre venu abuser de lui.

Avant de refermer le rideau, le guide de Tromos congédie l’innocent : « Allez, dégage avec les autres ! Et vite si tu veux bouffer ce soir ! »
Tendant le bras vers un sachet de poudre blanche, le trafiquant poursuit ensuite à l’attention de son invité.
Cependant, Tromos n’arrive plus à décrocher le regard de l’emplacement où se tenait encore il y a peu l’enfant : « L’homme qu’on a croisé, lorsqu’il parlé des petits nouveaux, il parlait des enfants que vous prostituez n’est-ce pas ? »
L’ignoble individu dévoile sa vraie nature : « Pourquoi ? Ça t’intéresse ?! Dans ce cas il faudra mettre une rallonge si tu veux un bon shoot et une baise. En même temps, faut dire que ces gamins qu’on vient de récupérer c’est de la première main. Ils méritent le prix ! »
La consternation ôte tout moyen de contrôle en Tromos.
Si bien que le criminel réalise enfin qu’il risque gros en voyant le colosse devenir rouge de colère.
Instinctivement, il sort de sous le bureau un revolver qu’il pointe sur le client : « Merde ! Fais chier ! Pourquoi ça n’arrive qu’à moi les types dans ton genre ! Les copains ne sont pas emmerdés eux ! Leurs consommateurs ont l’embarras du choix ! Alors ils achètent ce qu’ils veulent ! Des armes ! De la drogue ! Des putes ! Ou des mômes ! En fermant les yeux sur ce qui ne leur plait pas ! Mais toi t’as l’air d’être un casse-couille, qui, de plus, se la joue bonne morale ! Alors je vais te refroidir comme tous ceux qui me prennent la tête ! Puis je te ferai les poches après bien sûr ! A la limite je peux te revendre au monstre ! C’est un type de chez nous qui prend son pied sur les cadavres ! Un gros costaud comme toi ça doit bien se monnayer ! »
Sans plus attendre, il tire une balle en pleine tête de Tromos qui s’effondre.

Immédiatement, de toutes les pièces alentours, cela interpelle ses complices qui veulent savoir ce qui se passe.
Les clients clandestins, inquiets, sortent de derrière les alcôves de fortune l’air hagard.
Alors aussitôt, le criminel ramène tout le monde au calme : « C’est bon ! C’est moi qui me suis fait un fils de pute qui se la racontait. »
D’un geste de la main, il les renvoie vaquer à leurs basses besognes.

Attendant d’être de nouveau seul avec Tromos, il se précipite ensuite vers lui pour fouiller son cadavre.
Il est subitement interloqué par le fait que rien ne marque le visage de sa victime malgré son tir.
Tout à coup, avec une simplicité dépassant l’entendement, d’un geste brusque, Tromos l’attrape si fort par la gorge qu’il ne peut pas appeler à l’aide.
Tromos le soulève et vient l’encastrer dans le bureau : « Difficile pour moi de me coucher en faisant semblant d’être mort quand cet impact de balle a l’effet d’une piqûre de moustique ! Ne cherche pas à te débattre ! Il me suffit de presser légèrement pour te briser la nuque ! Tu devrais pouvoir encore chuchoter, alors tu vas répondre à toutes mes questions… »
Le misérable secoue la tête pour aviser son agresseur de son refus d’obtempérer.
Alors avec son autre main Tromos lui saisit un poignet qu’il serre à peine et brise pourtant.
Son cri étouffé par la pression exercée sur sa gorge, le vaurien agite finalement la tête d’un signe complaisant.
_ « Où se cache Segador, commence Tromos ?
_ A l’étage. Tout au bout du couloir. Il ne reste pas ici dans la puanteur du sang, du foutre et de la crasse. Mais cette partie du bâtiment est surveillée par une dizaine d’hommes armés. Elle n’est pas accessible aux clients, soupire-t-il d’une voix étouffée.
_ Votre réseau ! Où se trouve le centre de votre réseau, insiste le géant ?!
_ Ici. Nous sommes regroupés ici. Nos marchandises, nos prisonniers. Si tu continues plus loin dans le sous-sol, tu découvriras tout le monde. »
Lorsque Tromos peut enfin poser son regard dans les yeux du malfaiteur, ce n’est plus du chagrin qu’il éprouve mais une haine salvatrice.
Sans en dire plus, il glisse ses doigts au fond de la gorge de sa proie et en extrait sa langue qui balance au sol.
La douleur lui parait atroce.
Incapable d’appeler au secours ni d’hurler sa douleur, le malfrat gesticule en ahanant au bout du long bras du Berserker.
L’odieux personnage succombe lentement en s’étouffant dans son sang, avant d’être jeté à terre comme un détritus.

Pris d’une colère frénétique, Tromos sort du parcage où il était en l’arrachant d’un simple écart de bras, emportant avec lui les piécettes accolées.
Ce mouvement d’humeur interpelle immédiatement les occupants.
Ils brandissent leurs armes qu’ils vident en direction du Berserker, sans se soucier ni des innocents qu’ils prostituent, ni de leurs consommateurs de drogue pris dans leurs champs de tir.
Heureusement, devançant chaque balle, Tromos réagit à une vitesse proche de celle de la lumière et récupère chaque bille de métal afin qu’aucune ne trouve de cible.
Puis, se précipitant vers l’escalier qu’il a emprunté plus tôt, il bloque la sortie à quiconque : « J’ai l’impression que le vacarme là-haut empêchera qui que ce soit de s’inquiéter de votre sort ! »


En terrasse de café, à Athènes, Mars retourne la carte des choix dans tous les sens, tandis que Kyoko l’examine attentivement.
Impatient qu’il est de découvrir la suite des aventures d’Eris trois ans plus tôt, il ne tient pas en place.
_ « C’est bon ?! Tu as fait ton choix ?!
_ Je vais poursuivre tout en me décidant. Sinon tu ne me laisseras pas en paix… »

Flashback
L’Utérus avait déjà quitté le Sanctuaire, emportant Eris et ses Dryades.
Néanmoins, Milo et Shoko luttaient toujours contre la sphère de cosmos laissée par Eris avant son départ et qui menaçait de raser le cimetière du Sanctuaire tout entier.
Shoko retombait d’épuisement au sol. Elle avait tout donné.
Trop faible, son esprit s’évanouit dans le désarroi, à l’idée d’abandonner Milo seul et à bout de force.
Du moins, c’est ce qu’elle crut.
Alors qu’il était à sa merci, Milo vit la sphère pourpre se résorber.
Instinctivement, il tourna la tête vers Shoko.
_ « Ce n’est pas possible… Elle aurait réussi à… »
Le globe rapetissait de plus en plus et lorsqu’il regarda derrière Shoko, il reconnut un fauteuil roulant vide.
Devant celui-ci, debout, une femme Saint aux cheveux jaune verdâtre tendait ses bras vers la menace : « Bangosenseki ! »
La Roche d’Isolation de Mayura sortit aux pieds de Milo.
Renversant les stèles, retournant les tombes, un monticule de terre et de pierre vint recouvrir la boule qui continuait de s’amoindrir.
Lorsque Milo leva les yeux plus haut, en direction des marches des douze maisons, il vit Shaka, à hauteur de la maison du Bélier, léviter.
Ses mains étaient posées à plat, sur le haut des cuisses, dans son giron : « Tenpo Rin In ! »
Milo devint admiratif mais Mayura, couverte de sa Cloth par-dessus son corps bandé, insista : « Saint du Scorpion ! Shaka chasse tout doute de son esprit pour pouvoir ainsi augmenter son cosmos ! C'est une méthode de concentration ! Il a besoin de relâcher plus de forces s’il veut diminuer davantage l’énergie rémanente d’Eris ! Vous devez m’aider à la maintenir en attendant ! »
N’ayant plus de forces dans les bras, le visage couvert du sang de ses hémorragies internes, Milo fixa alors le Bangosenseki de Mayura qui manquait de lâcher : « Restriction ! »
Au même instant, Shaka libérait enfin toute sa puissance : « Om ! »
Aussitôt, l’étau exercé par Mayura et Milo se resserra plus efficacement et enfin, Shaka fit imploser à l’intérieur du Bangosenseki la radiation divine : « Tenma Kofuku ! »
Légèrement soulevés, aspirés par l’implosion, les spectateurs furent ensuite cloués au sol par l’onde de choc.
La Roche d’Isolation s’effrita pour redevenir poussière au sol.
Incapable de se lever, misérable, Rigel reconnut, à travers le nuage de fumée soulevé par les chocs répétés, Mayura, sa camarade, qu’il n’osa pas regarder dans les yeux.
_ « Mayura Saint d’argent du Paon… Heureusement tu es venu nous sauver, lâcha de honte Rigel.
_ Une chance que je me sois alertée des variations suspectes du cosmos de celle-là, hocha-t-elle la tête vers Shoko. Une élève du camp des femmes chevaliers pleine de surprise. »
Plus loin, Katya remarqua que la Cloth du Petit Cheval quittait le corps de Shoko pour reprendre, malgré ses fissures, sa forme totémique et veiller sur elle.
Avec l’appui de Mii qui ne pouvait retenir ses larmes pour Kyoko, Katya resta digne : « La Cloth continue de veiller sur Shoko après que Kyoko nous a quitté. »
Quittant sa lévitation en haut de la falaise pour apparaître juste à ses côtés, Shaka épargna une chute d’épuisement à Milo.
Le léger choc de leurs Cloths permit à Milo de rester éveiller.
_ « Shaka… Heureusement tu as réussi à endiguer l’énergie d’Eris.
_ Je n’aurais rien réussi si tu ne l’avais pas amoindri avant mon arrivée et si tu n’avais pas aidé Mayura à la restreindre.
_ Une chance que tu ais perçu le danger.
_ Une chance que j’étais avec Mayura à cet instant et qu’elle ressente les troubles du cosmos de cette fille, hocha-t-il la tête en direction de Shoko. Tu la connais ?
_ Non. Je revenais de ma permission pendant laquelle j’étais parti voir Inakis. C’est en remontant vers les douze maisons que j’ai aperçu le danger.
_ C’est un miracle. Tu as pu éviter un véritable massacre. Eris est douée pour profiter de la faiblesse du c½ur des hommes pour que ses Dryades et elles puissent passer entre les mailles du kekkai d’Athéna. Et maintenant ? »
Milo, malgré ses blessures, ramassa Shoko et se dirigea vers Katya et Mii : « Maintenant nous allons faire notre rapport au Grand Pope. J’en profiterai pour déposer cette fille au temple des prêtresses. Je ne sais pas si elle s’y engagera pour devenir Saintia, ni même si elle y sera au moins admise, mais je pense que pour son acte héroïque, aujourd’hui au moins, elle mérite de reprendre des forces dans ce cadre apaisant, entourée des proches de sa s½ur. »
Katya et l’exigeante Mii acquiescèrent.
Aussitôt la Cloth du Petit Cheval s’envola en direction du temple des prêtresses.
Shaka tourna la tête en direction de Mayura : « Raccompagne donc Rigel chez lui et fait venir un médecin. Il va avoir besoin de repos. Je te retrouverai tout à l’heure pour que nous reprenions notre méditation. »
Sans mot dire, Mayura fit léviter par télékinésie son fauteuil et Rigel pour mieux s’exécuter.

A quelques kilomètres du Sanctuaire, par-delà les nuages, indétectable pour le monde contemporain, le temple d’Eris vivait son éclat d’antan.
Au sommet, dans la plus haute des chambres, Eris regardait l’arbre qui dominait l’édifice.
Il faisait éclore de ses feuilles des fleurs scintillantes qui retombaient dans tout le palais.
Vêtue désormais d’une robe écarlate très échancrée, la Déesse de la Discorde admirait sa magnificence retrouvée.
Até la rejoignit couverte de sa Leaf par-dessus son corps nu.
_ « Sublime n’est-ce pas Mère ?
_ Até… Ceci n’est rien. Nous sommes dans l’Utérus, une simple base qui va attirer l’attention du Sanctuaire. Celui-ci ne verra même pas renaître ma véritable citée enfouie à Hokkaido, le Jardin d’Eden. Comme le Sanctuaire d’Athéna, ma citée est faite de barrières naturelles infranchissables pour les mortels. Elle va ressurgir sans que personne ne la remarque. Et j’y établirai mon règne.
_ Mais… Et l’Utérus ?
_ A l’heure qu’il est, le Pope va préparer la riposte. Son attention est focalisée sur l’Utérus qui était retenu prisonnier au Sanctuaire. Mon Jardin d’Eden a besoin d’énergie pour sortir des entrailles d’Hokkaido. Et l’Utérus sert justement à récupérer l’énergie des combats qui se jouent en son sein. En m’envoyant une équipe pour m’éliminer, le Grand Pope va faire renaître mon Jardin d’Eden.
_ Mais Athéna doit s’en douter ?
_ Athéna, ricana Eris en admirant son reflet dans la Pomme d’Or… Pourquoi penses-tu que la Pomme d’Or m’a choisi plutôt que ma s½ur ? Parce que mon âme corrompue permet d’exprimer plus intensément ma personnalité et mes forces. Je sais de ma vie terrestre qu’Athéna n’est pas dans son Sanctuaire.
_ Comment ?!
_ Et oui… Le Grand Pope nourrit des intentions belliqueuses et par extensions permet le développement de rancoeurs, de désirs et de péchés. Rien de tel pour semer mes graines et les faire germer lorsque le moment sera venu de contre attaquer.
_ Mais sans Athéna, le Sanctuaire est vulnérable ! N’est-ce pas le bon moment justement ?
_ J’ai été emprisonnée pendant des milliers d’années. J’ai besoin de temps pour retrouver mes forces. Et le temps, c’est bien ce qui me permettra de semer mes graines pour remplir mon Jardin d’Eden d’une armée digne de ce nom.
_ Trouvons Athéna alors. C’est elle le vrai danger !
_ Sans ses Saints, elle n’est rien à l’heure qu’il est. Et le Grand Pope est déterminé à l’éliminer, songeait-elle en fixant la cime de l’Utérus… Quand il l’aura retrouvé, ajouta-t-elle rieuse ! Avec tous les moyens dont dispose le Sanctuaire, ils ne sont pas parvenus à remettre la main sur cette petite fille. Ce n’est pas notre royaume renaissant qui y parviendra. Laissons le Sanctuaire venir nourrir l’Utérus, caressa-t-elle d’appétit sa poitrine, puis faisons-nous oublier. Nous aurons toute l’opportunité de frapper lorsque le moment sera venu. »
Sans rien dire, Até prenait congé, à la fois convaincue par ce plan structuré et frustrée de ne pas encore fêter leur succès par le sang.
Eris, elle, s’affalait satisfaite dans son trône, passant ses jambes par-dessus l’accoudoir.
Elle reproduisit les caresses faîtes sur sa poitrine quelques secondes plus tôt, pour ressentir à nouveau le frisson qui la parcourut à cet instant.
_ « Toutefois, retint-elle Até… Je ne serais pas Eris si je ne profitais pas de la situation. Des Saints, naïfs et bienfaisants, comme Rigel d’Orion, vont venir en nombre ici. Le Pope va donc se démunir de remparts de choix. En divisant ses forces, il va les amenuiser. Une équipe restera ici pour assurer ma défense. Pendant que tous seront focalisés sur la bataille ici, une autre équipe s’infiltrera au Sanctuaire. Après tout, le Sanctuaire fait éclore de bien jolies fleurs qui ne demandent qu’à être butinées… »
Il n’en fallait pas plus pour rendre à Até, la meneuse des Dryades, un sourire froid.

Dans la chambre du Grand Pope, Shaka et Milo suivaient le long tapis rouge en direction de la sortie après avoir rendu leur rapport.
Couvert du casque d’or et de la toge blanche que Shion aimait arborer, Saga songeait déjà à la riposte.
L’état de Milo, qu’il venait d’autoriser à retourner se reposer et à régénérer sa Cloth dans sa Pandora Box, ne laissait pas de place au doute. Une fois les Saints sortis, il confessa son hésitation quant aux décisions à prendre : « Il a fallu les forces combinées de Shaka et de Mayura du Paon, qu’on dit la plus forte des femmes chevaliers, pour permettre à Milo de repousser la menace. Même Rigel d’Orion a été mis hors combat. Je ne peux envoyer que des forces sûres. Mais j’ai besoin de garder des personnes de confiance pour assurer ma garde également... »
Sa réflexion fut interrompue lorsque, d’un appartement jouxtant la salle d’audience, sortit la silhouette gracieuse de Katya une fois les Saints d’or partis et la grande porte refermée par la garde.
_ « Quelle journée, lui souffla Saga ! L’annonce de l’exécution pour trahison de Klaus à son ordre ne leur parut qu’une formalité après tout ça !
_ Vous m’en voyez navrée une fois de plus, minauda-t-elle en remuant lentement ses hanches tandis qu’elle tressait ses doigts les uns contre les autres derrière son dos.
_ Ne le sois pas, souriait-il gêné sous son masque, c’est mieux ainsi. Finalement la résurrection d’Eris le jour de la mort du représentant des prêtres ne pouvait pas mieux tomber. Même si cela contrarie mes autres plans, vociféra-t-il amer. J’aurai dû me douter lorsque j’ai vu la comète Repulse au plus proche de la Terre la nuit dernière, que la Pomme d’Or était de retour sur Terre et qu’Eris était prête à prendre sa revanche. Cela montre à quel point je suis encore perfectible en tant que Pope.
_ Ne soyez pas si dur envers vous-même, accourut-elle jusqu’à son trône où il était assis pour le réconforter ! Le chemin est peut-être semé d’embûches pour le Pope, mais rien n’est impossible pour l’homme accompli que vous êtes ! »
Saga se redressa et lui tourna le dos, l’intimant ainsi à stopper sa progression à hauteur des marches à gravir jusqu’à son siège.
_ « Peut-être ai-je déjà été trop proche de lui pour aujourd’hui, songea-t-elle. Ma modeste personne abuse sûrement de sa grandeur d’âme, baissa-t-elle la tête honteuse. »
Le Saint des Gémeaux prit la direction de son balcon.
_ « Comment se porte la s½ur du réceptacle ?
_ Shoko ?! Elle est encore inanimée. Elle est très affaiblie. Tant physiquement que moralement je pense.
_ L’étoile sous laquelle sont nées les s½urs est double. Elles étaient autant prédisposées l’une à devenir Eris que l’autre à devenir Saintia. Si la Pomme d’Or réagissait étrangement au contact de l’aînée, alors c’est qu’Eris se sentait plus à l’aise à son contact qu’avec la cadette qui pourtant semblait y être prédestinée au départ.
_ Après tout, peut-être que le fait d’avoir laissé Kyoko dans la confidence autour de l’absence d’Athéna a joué en faveur du choix d’Eris de la choisir plutôt que Shoko.
_ Ne la compare pas à toi. Même si elle ne le montrait pas, cette Saintia cachait bien des vices. Elle n’a pas attendu de connaître la vérité sur Athéna pour être corrompue. J’ai découvert sa liaison secrète avec Rigel alors qu’elle était encore aspirante Saintia et donc bien loin de se douter de la vérité. Elle avait déjà rompu son serment de chasteté, avant même d’être adoubée. Néanmoins, elle avait du talent, un fort potentiel. Pour le Sanctuaire cela aurait été dommage de perdre ça. Elle, elle avait une famille et un homme qu’elle aime. Elle avait des choses à perdre. Il n’a pas été compliqué de la convaincre de rallier à ma cause. Cela faisait des années qu’il n’y avait plus de Saintias au Sanctuaire, obligé que j’ai été de m’en débarrasser après la disparition d’Athéna pour ne pas être démasqué. Il me fallait à tout prix quelqu’un pour donner le change. Elle n’a pas fait grand cas de la vérité. Au contraire, son statut lui octroyait une position confortable. Loin des premières lignes, reconnue et respectée par son ordre. Et pour son allégeance, je l’autorisais à continuer à vivre son amour interdit. C’est tout ceci qui a fait aux yeux d’Eris de l’aînée un hôte plus distrayante que la cadette. »
Convaincue sans trop forcer, Katya était admirative. Elle buvait ses paroles.
_ « Et Shoko ? Qu’en ferons-nous ?
_ Tu m’as dit qu’elle avait un plus grand sens du devoir que sa s½ur ?
_ Par la force des choses, aujourd’hui, oui. Elle paraissait déterminée à devenir la Saintia que sa s½ur n’a pas été.
_ Et le peuple ?
_ Honkios a vite eu vent des événements et cela s’est répercuté dans tout le domaine. Le peuple la voit comme la jeune fille, qui se soulève contre la divinité qui lui a arraché sa s½ur ! L’héroïne qui a promis de devenir une meilleure servante d’Athéna pour expier la faute de sa s½ur ! Voilà comment on en parle déjà.
_ Je ne peux donc pas la répudier. Le peuple ne comprendrait pas qu’une héroïne soit ainsi traitée. Et je ne peux pas prendre le risque qu’elle découvre la vérité. Nous l’autoriserons donc à intégrer l’ordre des prêtresses. Elle sera aspirante Saintia. Tu me ramèneras ici la Cloth du Petit Cheval. Le temps que l’on voit si elle est assez disciplinée pour ne pas être radiée, la Cloth devrait se régénérer. Ainsi, l’armure ne forcera pas ma prise de décision. Nous aurons donc le temps de voir si nous pourrons la plier à mon service au fil des années, ou s’il faudra s’en débarrasser une fois que le peuple aura oublié son héroïsme. »
Il atteignit son balcon duquel il pouvait observer l’étendu du domaine sacré.
Son attention se portait sur le cimetière dévasté.
Tout autour du mausolée, les gardes s’affairaient déjà à remettre en terre les tombes retournées et à sceller les stèles renversées.
Des tailleurs de pierre gravaient de nouvelles pierres en remplacement de celles brisées ou enfouies.
Quelques hommes déversaient des brouettes de terre et quelques pierres pour ne faire du gouffre laissé par la libération de l’Utérus qu’une importante crevasse dans le versant de la montagne.
_ « Hors de question de laisser Eris contrecarrer mes plans, gronda Saga. Je vais convoquer sur ordre d’Athéna une mission de sauvetage. Tous les Saints qui seront conviés ignorent qu’Athéna n’est pas au Sanctuaire. J’enverrai donc des fanatiques dévoués à la cause comme Aiolia et Shaka. Milo aura à c½ur de prendre une revanche également. Rigel, une fois rétabli, aura une double motivation à participer à la mission. Kyoko l’a toujours préservé à propos d’Athéna. C’est un fidèle convaincu. Et il aura la volonté de sauver sa bien-aimée. Son ancien maître, Aeson de la Coupe, voudra certainement affronter ceux qui ont mis son élève dans cet état. Et puis, cela fait dix ans qu’il est assigné au Sanctuaire, puni pour son péché. Il aura à c½ur d’accomplir cette mission. Parmi les autres Saints d’argent, Georg de la Croix du Sud, Juan de l’Ecu et Mayura du Paon. Enfin, Apodis de l’Oiseau de Paradis et Naïra de la Colombe me paraissent les plus dévoués à Athéna parmi les Saints de bronze les plus aguerris disponibles.
_ Et moi, demanda-t-elle timidement ? Je n’ai pas été à la hauteur aujourd’hui. J’ai manqué de prudence vis-à-vis de Klaus. Et j’ai été ridicule contre les Dryades. Donnez-moi une chance de me rattraper !
_ Le rôle d’une Saintia est de rester auprès d’Athéna. Ton départ pour l’Utérus serait suspect.
_ Mais…
_ Il suffit Katya !
_ Veuillez me pardonner Seigneur, dit-elle aussitôt en courbant l’échine.
_ Je n’ignore pas que Kyoko était ton amie. Un secret aussi lourd que le notre nécessite parfois de pouvoir le partager avec quelqu’un de confiance. Je me doute que par sa maturité et par le fait qu’elle soit dans la confidence tu te sois attachée à elle. Mais tu dois comprendre qu’elle n’est plus celle qu’elle était. Le pouvoir d’Eris a soudoyé totalement son c½ur et va lui permettre de réaliser des ambitions qu’elle n’osait pas imaginer encore ce matin. Je les comprends, murmura-t-il songeur…
_ Quoi donc ? De toutes les possibilités qu’offre un grand pouvoir ?
_ Oui… Et le soulagement de pouvoir partager un secret avec quelqu’un de confiance, lui sourit-il sincèrement par-dessous son masque avant de la renvoyer avec sympathie. Allez, va à présent. Tes camarades doivent s’inquiéter des évènements du jour. Va donc les rassurer. »

Plus bas, dans l’un des petits villages du domaine, on vint frapper à la porte d’une modeste demeure de soldat.
L’homme moustachu qui ouvrit la porte reconnut deux jeunes apprentis à en juger leurs tenues.
Il passa aussitôt sa main derrière sa queue de cheval et leur emboîta le pas : « Désolé, mais Shoko n’est pas encore rentrée ! »
Le silence gêné qui s’en suivit obligea le père adoptif de Kyoko et Shoko à plus d’écoute…
 
Dehors, restés en retrait à l’angle d’une autre chaumière, Shaka, les yeux clos, concentrait son ouie et rendait compte par télépathie à Mayura qui l’accompagnait dans son fauteuil.
_ « Quelle dure épreuve tu imposes à tes élèves que d’annoncer à un père le décès de sa fille aînée.
_ Mirai et Shinato endureront des épreuves bien plus lourdes s’ils poursuivent la voie de la chevalerie.
_ Tu es sévère avec tes élèves mais tu préserves ce soldat. Après tout, sa fille aînée n’est pas morte.
_ Elle a choisi la voie du mal sans même lutter. Les écrits rapportent qu’un réceptacle humain, encore plus lorsqu’il est doué de cosmos, parasite parfois l’âme divine qui veut se l’accaparer. Ce fut le cas avec Hadès lors de la précédente Guerre Sainte où son réceptacle Alone prit le luxe d’utiliser le dieu à son profit. Ici, Kyoko s’est totalement et volontairement laissée absoudre. Ce père ne l’aurait pas supporté.
_ Crois tu que lui dire que son autre fille a intégré les prêtresses d’Athéna le rassurera pour autant ? Après tout, pour lui, c’est ce chemin qui a conduit son aînée à combattre et à se perdre.
_ Il préférera que ses filles meurent pour Athéna plutôt qu’elles s’allient à l’ennemi ou se détournent de la foi. Tu ne le vois pas du haut de la sixième maison, mais pour ces gardes pleins de dévotion à la cause, les conditions de vie sont difficiles. Heureusement que leur foi les guide et qu’ils s’en nourrissent !
_ Ne prends pas ce ton avec moi. Je viens…
_ … Tu viens de la misère Shaka, je le sais. Mais nos longues séances de méditation à deux me font ressentir que depuis que tu t’es extirpé de cette condition, que depuis que tu as été victorieux des ennemis du Sanctuaire et encore plus des Titans, tu portes un jugement sur la souffrance des hommes.
_ Je ne juge en rien la souffrance de ce soldat. Il est question ici de vérité ! Son éducation a poussé cette femme à s’accepter comme une des pires ennemies d’Athéna ! Et toi tu me dis qu’il vit pieusement, convaincu de sa mission !
_ Tu t'enfermes dans la certitude de détenir la vérité absolue, sans même te soucier du c½ur des hommes. Si tu doutes de mes propos, pose-toi la bonne question ! Depuis combien de temps Bouddha n’est pas venu converser avec toi ? »
Shaka resta interdit quelques secondes.
Il finit par sourire avec prétention : « Retournons donc d’où nous sommes venus avant d’affronter Eris. Et je te montrerai que Bouddha me parle ! »

Devant eux, le père adoptif de Kyoko et Shoko ployait le genou en apprenant le décès de sa fille aînée…

A proximité, dans le village voisin, un autre Saint d’or battait le pavé.
Cuirassé de sa tenue d’entraînement, Aiolia espérait passer incognito devant le peuple.
Sa destination lui était connue, cependant il hésitait à s’y rendre.
Il tournait autour du pâté de maison d’un logis qu’il avait parfaitement ciblé.
Cette maison il ne la connaissait que trop bien.
La brise estivale amena avec elle des souvenirs désagréables pour le chevalier.
Il s’y revoit à l’intérieur, recroquevillé contre un mur, sous le volet en bois, entouré de quatre Saints de bronze.
Il n’était pas encore chevalier à l’époque. Il n’était qu’un enfant qui suivait l’apprentissage de son frère. Et une innocente victime des menaces de ces guerriers, lorsque Aiolos attenta à la vie d’Athéna. Ce ne fut à ce moment que le début des brimades, qu’il endurait encore parfois maintenant pour être le frère du traître.
Soudain, une voix amicale et familière venue de son dos le fit sursauter : « Alors quoi ?! On n’ose plus rentrer chez ses amis Maître ?! »
Le Saint se retourna pour mieux reconnaître celle qui fut autrefois à son service.
Intérieurement, il ne put s’empêcher de la trouver très belle, elle qui n’était plus une enfant.
_ « Lithos ! J’étais ailleurs, je ne t’ai pas senti arriver ! Laisse-moi te débarrasser de tes courses et surtout, cesse de m’appeler ainsi !
_ Allons Maître, lui tendit-elle son panier en osier et ses jarres, vous serez toujours celui que j’ai eu plaisir à servir ! Allez ! Entrons ! »
Le Lion la suivit en prenant grand soin de fixer le seuil de la porte comme s’il redoutait encore de le traverser.
Lithos attacha ses cheveux mi-longs vert pour laisser le vent rafraîchir sa nuque. Le mouvement moula à merveille sa tunique contre sa fine taille et fit ressortir sa poitrine de femme.
_ « Vous avez toujours autant de mal à revenir dans cette maison n’est-ce pas ?
_ Rien n’a changé. Ces pierres taillées rectangulaires, froides. Sur les murs, sur les plafonds, maintenues par des madriers. Les mêmes meubles de bois. Et ce vieux volet, grand et occultant qui me maintint des mois dans l’obscurité pour mieux cacher ma honte.
_ Vous êtes loin de tout ça désormais.
_ Certes, mais cela marque un enfant. Cela me reste comme une plaie à jamais ouverte.
_ Et bien moi j’ai remis beaucoup de gaieté ici ! »
Elle ouvrit en grand le volet pour faire rentrer le soleil.
Et en effet, le mobilier n’avait pas changé. Mais cette lumière d’été et les nombreux bouquets de fleurs parsemés ici et là donnaient beaucoup plus de charme à ce lieu.
_ « Il n’y a pas à dire, cette maison te va mieux qu’à moi.
_ Surtout quand on vit dans un palais aussi majestueux que le votre !
_ Tu y as passé quelques années avec moi, tu sais qu’hormis un temple immense, nous n’avons qu’une petite chambrette ! Il était clairement difficile d’y tenir à trois ! En parlant de ça, des nouvelles de Galan ?
_ Pas depuis que vous nous avez affranchis, baissa la tête gênée Lithos. Il a profité de votre laissez-passer pour quitter le Sanctuaire et réaliser son rêve. Visiter le monde contemporain, déclara-t-elle confuse.
_ Cela fait quand même quelques années, lui prit-il les épaules pour rassurer son apparente angoisse, mais rappelle-toi qu’avant moi, Galan avait concouru pour l’armure du Lion. Il jouit du cosmos et c’est quelqu’un d’acharné. Je n’ai aucune crainte pour lui. »
Malgré tout, Lithos resta pensive.
Elle remplit une pleine coupe de vin à son ami et ne s’en servit qu’un fond.
_ « Allons… Pas la peine de te mettre dans tous ces états.
_ Ce n’est pas pour Galan que je m’inquiète cette fois. Votre visite n’est pas anodine. Si vous venez me rendre visite, c’est que vous partez en mission n’est-ce pas ? Comme si votre passage ici était le dernier ! »
Il s’assombrit en présentant une tablette le convoquant auprès du Grand Pope. Ce type de document était bien connu de Lithos, pour les avoir souvent vu à l’époque où son maître recevait de nombreux ordres de missions. 
_ « Il est vrai que je dois partir. Cependant je ne vois jamais ma venue ici comme un adieu, mais plutôt comme une piqûre de rappel, lui sourit-il ensuite chaleureusement. Je me rappelle que c’est avec toi que tout a commencé. J’étais un lionceau fougueux lors de notre rencontre. Puis la Guerre Sainte contre les Titans éclata. Mes actes lavèrent le doute du peuple à mon égard. La fraternité des autres Saints m’a convaincu des péchés d’Aiolos, mais m’a aussi fait accepter qu’il existe une autre voie que la ranc½ur. Lorsque j’ai ramené ici le peuple des Titans, ceux-ci se sont rebellés contre le Sanctuaire. Tout cela pendant que j’avais le dos tourné à affronter Cronos pourtant prêt à pratiquer leur génocide dans sa folie. Il obligea Athéna à intimer au Pope de les bannir sur Death Queen Island. J’ai également compris à cet instant que les belles paroles et les grandes promesses n’étaient pas toujours pleines de sens. Je m’étais mouillé pour notre ennemi, alors qu’il n’a pas honoré sa parole une fois sur nos terres. Les années et la maturité aidant, je me suis accepté tel que je suis. Je n’avais plus à me teindre les cheveux, ni à vivre reclus dans la maison du Lion. Et tout ça, ces moments de chagrin, de colère, d’allégresse, de doute, de fraternité… Tout cela, je l’ai vécu avec toi. Douce. Patiente. Compréhensive. Tes éclats de rire, ta joie de vivre, je me suis battu pour tout ça et je continuerai encore. Venir ici avant de partir, c’est me ressourcer avant le combat. »
Assise face à lui, ses mains traversèrent la table pour venir cueillir les siennes.
_ « Maître Aiolia… Vous me manquez tant.
_ Hélas, sourit-il les yeux embués, la Guerre Sainte contre les Titans fut les prémices de tant d’autres. La trahison du peuple Titan que m’a rapporté le Grand Pope a eu raison de ma candeur. Je ne pouvais vous infliger de supporter mes retours crasseux et ensanglantés. Vous aviez rempli votre office. Durant toutes ces années, Galan a poursuivi ton éducation. A ta majorité, il m’a semblé naturel que tu reprennes ta liberté. Galan encore plus, pour le coup.
_ Je ne me suis jamais sentie prisonnière.
_ Certes, mais il arrive un moment où une jeune femme doit vivre bien plus qu’une vie de servante.
_ Et je ne voyais pas ça non plus d’un bon ½il, ajouta une voix par la fenêtre ! »
Bras croisés appuyés à l’embrasure de la fenêtre, Marin affichait une bonne humeur et une touche de provocation.
_ « Une femme aimante n’aime pas savoir son homme vivre sous le même toit que son esclave, rajouta l’Aigle.
_ Maître Aiolia n’était pas de ces hommes là.
_ Je le sais bien rassure-toi. D’ailleurs je tenais à te remercier d’avoir gardé secret notre amour.
_ Et bien, disons que je m’inquiétais des sorties nocturnes et non autorisées de mon maître à l’époque où vous commenciez à vous voir et donc, avec Galan, il m’a semblé naturel d’enquêter afin de lui éviter des ennuis. J’aurai préféré ne pas voir ce que j’ai vu…
_ Allez, allez… C’est bon… Pouvons-nous passer à autre chose, dit-il en avalant sa coupe d’une traite, tout embarrassé. J’étais jeune et encore un peu rebelle ! »
Les trois amis rirent de bon c½ur et revigorèrent la motivation du Lion à partir prochainement à la guerre…

Plus loin, au Sud-Est du domaine, en contrebas du camp des femmes chevaliers, une prairie désertée accueillait le totem des Cloths de la Vierge et du Paon.
Habillé d’un voile blanc qui descendait en travers de son torse, Shaka le remontait pour laisser apparaître dessous un sarouel grenat et s’asseoir confortablement.
Il trouva de bon ton de déclarer : « Ce jardin est bien modeste par rapport à celui que j’entretiens autour des Sals jumeaux. Mais je m’en accommoderai. »
Cela fit sourire sarcastiquement sous son masque Mayura.
Debout, devant son fauteuil roulant, elle défaisait les bandages qui couvraient son corps sous son kimono vert. Pour mieux se faire, elle dénoua le ruban rouge qui le serrait à la taille et ne le remit pas, dévoilant ainsi son corps juste couvert d’un shorty.
A l’aise, elle laissa ainsi le vent s’insinuer sous l’épais vêtement et raviver ses sens qu’elle condamnait volontairement.
Ressentant ses moindres faits et gestes malgré ses paupières closes, Shaka perçut qu’elle voulait défaire le n½ud du tissu qui maintenait son masque et lui cachait habituellement la vue.
_ « Oserais-tu te démasquer, alors que cela fait des années que tu ne te donnes plus à moi ?
_ Autant d’années depuis lesquelles le Shaka que j’ai choisi d’aimer lorsqu’il a brisé mon masque après un entraînement est devenu imbu de lui-même. Certainement pas. Il me sera juste plus simple de voir à travers mon masque sans ce ruban.
_ Imbu ? J’ai de quoi ne crois-tu pas ? Après tout, grâce à mon aide et mon enseignement, te priver régulièrement de tous tes sens t’a hissé au statut de la femme Saint la plus forte et la plus respectée du Sanctuaire, pensa-t-il la flatter ?
_ Parce que tu penses que je n’y serai jamais parvenue sans toi ?
_ Allons, voulut-il la calmer, commençons à méditer, afin que je te montre que tu es dans l’erreur. »
Soufflant de dépit, elle s’assit face à lui.
De concert, ils mimaient les mêmes gestes.
Leurs dos étaient droits sans être raides.
Leurs yeux fermés.
Ils posèrent leurs mains l’une sur l'autre. Les phalanges des pouces, les doigts se superposant, se touchant par les extrémités. Ils dessinaient un espace d’ouverture avec les doigts.
Par cette gestuelle, ils entrèrent en parfaite concentration…

Au village de Lithos, Aiolia s’éloignait, rentrant chez lui avant de partir pour sa mission.
Tandis qu’il n’était bientôt plus qu’un point à l’horizon, Marin profita d’être seule avec Lithos pour lui faire remarquer qu’elle ne semblait pas franche.
_ « Aiolia n’est toujours pas au courant pour Galan n’est-ce pas ?
_ Il était en mission lorsque cela arriva. Galan m’a fait jurer de ne rien lui dire. Qu’il serait préférable au chagrin qu’il le pense heureux, parti à la découverte du monde.
_ Malheureusement, s’éloigna Marin, je crains que la découverte un jour d’un tel mensonge sera pire que de lui avouer la vérité. »

Au Nord, dans les villages pauvres et malfamés du domaine, la Cloth d’or du Scorpion apportait un peu de tenue en ces lieux mal entretenus.
Impérial dans sa Cloth, Milo laissait dans son sillage l’espoir d’une vie meilleure pour les enfants et apprentis qui souhaitaient s’extraire de leurs conditions.
A mesure qu’il progressait en direction de chez Inakis, sa bien-aimée, il passait à proximité des vestiges d’un temple que les combats acharnés entre un maître et son élève avaient changé en champ de ruines.
Un simple hochement de tête entre le Saint d’or et le maître aux cheveux blonds mi-longs coiffés d’une lanière de cuir rouge témoigna du respect que se vouaient les deux hommes.
Bien plus appuyé que celui de Milo, le signe d’Aeson restait nettement moins révérencieux que celui de son disciple qui se mit à genoux, front contre terre.
_ « Bonjour Seigneur Milo Saint d’or du Scorpion !
_ Ça ira Crateris, stipula froidement Milo, je ne suis pas venu à Bifolco pour ça.
_ Il n’en demeure pas moins que vos venues dans notre village sont un privilège, assura d’un timbre solennel Aeson.
_ Je viens dire au revoir à quelqu’un qui m’est cher, dit le Scorpion en affichant la tablette où figure son ordre de mission.
_ Je comprends, leva à son tour la sienne Aeson, il me tarde d’aller me frotter à ceux qui ont mis dans cet état mon ancien élève Rigel d’Orion.
_ Oh, je vois. A très vite alors Saint d’argent de la Coupe !
_ A très vite Seigneur Milo, hocha la tête le maître de Crateris. »
Le Scorpion poursuivit son chemin, laissant l’apprenti pantois : « Un ordre de mission ! Mais alors, Maître Aeson, vous allez faire parti de la riposte contre Eris ?! »
Le professeur, la quarantaine tout juste passée, paraissait plus sage que son disciple Crateris.
Il lui tourna le dos et partit regarder à nouveau dans la coupe que forme le totem de sa Cloth laissée à la vue de tous : « Je ne vois rien, songeait-il. Lorsque de l’eau est versée dans cette Cloth, il est possible de voir son propre avenir au lieu de son reflet. Pour la première fois aujourd’hui, depuis que j’ai reçu l’ordre de mission, je n’y vois rien. »
Crateris remarquait la préoccupation de son maître depuis qu’un garde était venu le rencontrer : « D’ordinaire taciturne, Maître Aeson a toujours gardé un certain entrain à l’idée de pouvoir un jour repartir à la bataille. C’est la première fois que je le vois songeur, cogitait-il »
Aeson le sortit de ses pensées : « Crateris ! Viens voir s’il te plait. L’entraînement est fini pour aujourd’hui. Il me faut me préparer à visiter le Grand Pope. Lave donc tes plaies dans l’eau de la coupe. »
Mais Crateris n’était pas dupe. Il réfléchit en s’exécutant : « Connue pour son don de prémonition, la Cloth de la Coupe tire son histoire de la coupe dans laquelle Athéna s’est abreuvée lors d’une ancienne Guerre Sainte. Elle aurait transmis la propriété de pouvoir soulager les blessures lorsque l'on boit l'eau qui a été versée dedans quand elle se trouve sous sa forme totémique. Mais c’est la première fois que Maître Aeson m’autorise à m’en repaître… »
Néanmoins, il ne broncha pas.
Son approche était délicate.
Solennelle.
C’était un immense honneur pour lui d’approcher la Cloth, que son maître n’arborait qu’à de rares occasions.
Seulement, quelle ne fut pas sa stupéfaction lorsque le reflet lui renvoya son image porteuse de la Cloth, les larmes aux yeux.
Il en tomba à la renverse.
Tremblant, incapable de regarder son maître dans les yeux, il resta fixé sur son postérieur à claquer des dents.
Aeson, lui, fit la moue. Il comprit sans même demander.
Il décrocha le récipient de son totem et avança jusqu’au désarmé Crateris.
Délicatement, il versa sur lui l’eau qu’elle détenait et lui sourit comme rarement : « La Cloth ne change pas l’eau en remède. Mais elle soulage légèrement les blessures. Caresse donc tes plaies avec avant qu’elle ne sèche. »
Puis d’un geste de la main, il fit léviter le vase qu’il remit sur sa base. Alors la Pandora Box se referma sur elle et Aeson vint la fixer sur ses épaules.
Il adressa un dernier sourire à Crateris qui obéissait sans trop réaliser que cette cérémonie de baptême était destinée à le promouvoir très prochainement… 

Au Sud-Est, le craquement d’une branche sous le pas d’un visiteur avisa Shaka.
Il interrompit sa méditation puis resserra prestement le kimono de Mayura.
Celle-ci, surprise, le pensa d’abord mal attentionné à s’en fier au regard inquisiteur qu’elle lui porta sous son masque.
Très vite, lorsqu’un garde vint les trouver, tenant en ses mains deux tablettes, elle comprit qu’ils étaient réquisitionnés et que Shaka avait été bienveillant à l’égard de son corps presque nu.
_ « Décidemment, où qu’on aille, rien ne peut échapper à la vigilance du Pope, pesta-t-elle !
_ En attendant, on pouvait sentir ce soldat venir à des kilomètres à la ronde. Facile de se douter que le Grand Pope l’avait envoyé nous quérir, corrigea-t-il d’un ton plus respectueux à l’égard du souverain.
_ J’étais plutôt concentrée à ressentir Bouddha, s’était-elle entêtée à rester désobligeante, et, bizarrement, il ne nous est pas apparu, réajustait-elle de mouvements secs son kimono.
_ Tu n’as donc pas compris, lui rétorqua-t-il tout en récupérant les missives pour que le messager prenne congé d’eux. Si Bouddha ne converse plus avec moi, c’est peut-être parce que je suis maintenant suffisamment éclairé. Que Bouddha parle à travers moi !
_ Tu es sérieux, ne put s’empêcher de pouffer Mayura en retournant récupérer ses bandelettes ?!
_ Il faut être sot pour ne pas s’en être rendu compte. Mes disciples te le diront. Aghora et Shiva en tête. Je suis Bouddha. Ma parole est sacrée.
_ Je suis… Effarée ! Par tant d’orgueil !
_ Tu qualifies ça d’orgueil, car tu n’es pas parvenue à le comprendre de toi-même.
_ Serais-tu entrain de me dénigrer ?
_ Ce que tu prends pour du dénigrement n’est que l’expression de ton incompréhension à ce qui se passe sous tes yeux. Voilà pourquoi un fossé se creuse entre nous. »
Mayura rappela à elle sa Cloth.
_ « T’es-tu demandé si l’absence de réponse de Bouddha ne serait pas plutôt que Bouddha ne te trouve plus d’intérêt ? Qu’une remise en question te ferait le plus grand bien, se laissa-t-elle choir dans son fauteuil ? »
Il revêtit aussi sa Cloth.
_ « Et toi donc ? Que pense la plus puissante femme Saint du Sanctuaire d’une remise en question ? Ça ne te ferait peut-être pas de mal. Il n’y a qu’à voir ta réaction lorsque je t’ai rhabillé quand le garde s’est amené. Tu as cru que je tenterai l’inverse. Tu es bien sotte de croire que j’attends après toi. Aujourd’hui mon aura est telle, que je peux illuminer bien des vies d’autres femmes si tel est mon désir.
_ Cela fait deux fois dans la même conversation que tu me considères comme une sotte, entama-t-elle sa télépathie pour rompre à nouveau avec ses sens. La loi du Sanctuaire est ainsi. Tu as vu mon visage après m’avoir vaincu il y a quelques années lors d’un combat d’entraînement. A l’époque tu étais bon et tu étais à l’écoute des autres. Alors j’ai choisi de t’aimer. Mais aujourd’hui, par Athéna, qu’il est dur d’aimer un être aussi arrogant et humiliant que toi ! Tu peux avancer désormais ! Nous nous retrouverons devant le Pope pour répondre à sa requête. »
Flashback

Le serveur fit cesser le récit de Kyoko pour venir prendre leur commande.
_ « Je prendrai une coupe de champagne s’il vous plait, se ravit Kyoko.
_ Un raki, râle Mars pour le dégager au plus vite. »


Bien loin d’imaginer les mouvements en Argentine et en Grèce, à Asgard, Hilda veille au temple Walhalla.
En bas, au bout de longs couloirs obscurs, à l’intérieur de la bibliothèque du palais, Hilda savoure à la lueur d’une bougie les mémoires de la précédente Guerre Sainte contre Hadès : « Je n’ai pas remercié Alberich pour m’avoir rapporté ce présent d’Alexer Prince de Blue Graad. Il s’agit du témoignage de Unity, son ancêtre. Il relate les évènements qui ont opposés la déesse Athéna et Hadès il y a plus de deux cent ans ainsi que le rôle qu’il a eu à jouer dans tout ça. »
Dans l’ombre, les bras croisés, captivé par la beauté de la princesse aux cheveux et à la robe azurs, Siegfried s’agace quelque peu : « On dirait qu’Alberich réussit à rentrer dans vos faveurs. Son travail machiavélique de persuasion semble fonctionner Princesse Hilda. »
Malgré tout l’émoi que cela suscite en elle lorsqu’elle croise son regard, Hilda fixe Siegfried dans les yeux : « Que vas-tu t’imaginer ? J’apprécie les efforts qu’il fait mais n’en oublie pas moins qu’il reste un être ambitieux et complexe. »
Siegfried se lève et passe devant sa supérieure pour se poster devant l’entrée de la pièce : « C’est tout de même lui que vous aviez choisi pour résoudre le conflit contre Blue Graad. »
Au passage, elle lui retient fermement la main et le dévisage : « Parce que je préfère garder mon meilleur homme pour ma garde personnelle. »
Siegfried sert les dents pour garder du mieux qu’il peut la tenue qu’exige une dame du rang de celle qu’il aime : « Et c’est en me reléguant au statut de garde que vous espérez me voir progresser. Mon c½ur cesserait lui-même de battre si demain je n’étais pas assez fort pour vous protéger. Mais si ce rôle de soldat vous convient pour moi, si c’est tout ce que vous attendez de moi, alors qu’il en soit… »
D’un geste brusque, Hilda tire sur le bras de Siegfried pour l’obliger à se rapprocher d’elle qui est toujours assise.
Surpris et décontenancé, le plus puissant Asgardien du royaume se laisse cueillir le visage dans les mains de celle qu’il aime : « Non, j’attends tant de toi, de nous… »
Elle ferme ses yeux et approche son visage du sien.
Surpris, et à la fois ravi, déstabilisé aussi par cette attitude dont il a toujours rêvé, il clôt à son tour ses paupières et s’avance très lentement vers elle.
Bientôt, il commence à sentir son souffle sur ses lèvres et ses mains devenir moites.
Alors que ses lèvres peuvent enfin faire pression contre les siennes, une voix familière et toute essoufflée appelle dans tous les couloirs : « Hilda ! »
N’écoutant que son devoir, Siegfried se redresse et fait déjà barrage de son corps devant Hilda.
_ « C’est la voix de votre s½ur !
_ Allons la trouver ! Vite ! »

Connaissant par c½ur les moindres détours de ce labyrinthe résidentiel, les s½urs se retrouvent grâce aux sons inquiets de leurs voix.
Siegfried reconnaît immédiatement Hagen qui porte dans ses bras l’étrangère à la peau dorée qu’il ignore encore être Thétis…

Author Topic: Chapitre 74  (Read 1892 times)

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