Chapitre 63

Chapitre 63

Le soleil hisse timidement ses premiers rayons dans le ciel pour inonder l’Himalaya de sa lumière bienfaitrice ce 11 décembre 1986.
A Jamir, région quittée quelques jours plus tôt par Mû, l’air est encore frais.
Les au revoirs échangés libèrent des bouches, remplies de confiance, de la fumée.
Toujours en retrait, Mei secoue, malgré tout, la tête en guise de salut pour Marin.
Celle-ci, Pandora Box sur le dos, incline son buste en avant, afin de remercier Médée pour son hospitalité, alors que son mari est parti pour le Sanctuaire après un détour par les Cinq Pics en Chine.
Un salut moins formel témoigne à Yulij un respect mutuel, tandis qu’une caresse véhémente sur la joue de Nicol, lui renvoie toute l’affection qu’il lui porte.
Le meneur de cette équipe de mutins du Sanctuaire reste droit, la mâchoire contractée afin de ne pas trahir son habituelle solennité. Toutefois, sa voix teintée d’inquiétude le trahit : « Sois prudente.
_ N’ai crainte. Je voyagerai sans utiliser ma cosmo énergie. Et une fois au Sanctuaire, je connais le lieu comme ma poche. J’arriverai sans faire de grabuge sur Star Hill.
_ Tu me diras à quoi cela ressemble, plaisante-t-il.
_ Tu le sauras le jour où tu prendras cette place qui est tienne désormais, répond Marin avec sérieux. »

Ces mots heurtent Nicol à tel point qu’il ne remarque même pas Marin s’éloigner à l’horizon.
Tandis que Médée et Yulij lui font de grands signes de bras, Mei tourne le dos en direction de la demeure.

Une fois Marin disparue de leur champ de vision, Médée grimace : « C’est dommage que tu n’ais pas pu interpréter les symboles qu’elle a vu. Nous aurions pu l’aider. »
Nicol dévoile un sourire rempli de certitude : « Mais nous allons l’aider. Je sais exactement ce qu’elle a vu. »
Yulij s’offusque : « Pourquoi ne pas le lui avoir dit ?
_ Parce qu’elle a raison. Le plus important aujourd’hui c’est d’aider Athéna à récupérer sa place. Nous ne ferions que les gêner à nous rendre au Sanctuaire. Nous aiderons donc Marin… Je veux dire Athéna, à préparer la prochaine étape : la survie de l’humanité toute entière. »
Le regard déterminé de Nicol se brise sous la réflexion sarcastique du Saint de la Chevelure de Bérénice : « Tu es sûr que ce n’est pas plutôt qu’elle t’a tourné la tête cette Marin.
_ Pas du tout, rougit Nicol !
_ Après tout ça n’aurait rien d’étonnant. Je veux dire, Marin est une Olympienne, toi tu es vachement cultivé et ton statut de Saint de l’Autel aspire à suppléer, voire remplacer, le Grand Pope. Il est normal que tu ais des goûts de luxe. »
Nicol commence à menacer son rival. Amicalement, les deux chevaliers ont besoin de Médée et Yulij pour être séparés.

Tandis que les deux hommes boudent chacun dans leurs coins, Médée déclare avec enthousiasme : « Bien, dans ce cas nous allons récupérer le Pendentif de Zeus. Destination… Le… La… Euh… Mais où allons-nous au fait ? »
Face à tant de légèreté, ses amis ne savent comment réagir. Après qu’une brise de honte caresse ses cheveux, Médée obtient la réponse de la bouche du Saint d’argent de l’équipe. Il prend la relève en pointant avec détermination l’horizon : « Préparez vos baluchons les amis. Nous partons pour le Mexique ! »


Dans une dimension qui surplombe la Terre, l’Olympe, la nuit laisse place au jour dans le coliseum.
Les fidèles s’y font de plus en plus nombreux.
Ceux restés à prier chez eux ou dans les temples la veille pénètrent dans l’enceinte, curieux de ne pas voir leurs semblables en revenir.
 
Au milieu de celle-ci, Apodis distingue difficilement son reflet dans le carrelage brillant qui habille cette majestueuse arène. Ses yeux sont tellement gonflés après les coups reçus, qu’il ne peut distinguer son nouvel adversaire qu’à l’aide de ses autres sens accrus.
Fort de quatre victoires durant la nuit, le chevalier a déjà réalisé ici un exploit que chaque Olympien n’ose pas nommer « miracle ».
L’Ange qui s’amuse avec lui depuis ces dernières heures, se montre bien plus difficile à appréhender.
Ce dernier, fier dans sa Glory, affiche sans cesse une expression dédaigneuse. Il garde sous la main le diadème de son armure, afin de ne pas l’entremêler dans ses longs et lisses cheveux au bleu aussi clair que ses yeux.
A l’image d’un chat qui joue avec une souris, Cycnos tourne autour d’Apodis en s’amusant à le repousser chaque fois au sol lorsque le Grec amorce une tentative pour se mettre debout.
A genoux, sur les coudes, Apodis baisse la tête pour souffler d’exaspération.
_ « Si seulement j’étais capable de maîtriser pleinement les septième et huitième sens à ma guise. Je parviendrais à surmonter instinctivement toutes mes peines, songe-t-il. »
Un nouveau coup de pied dans le creux des reins, le ramène à la réalité.
Son visage heurte le sol pour la énième fois et lui occasionne une contusion supplémentaire au front.
Quelques quolibets pleuvent encore des tribunes et lui donnent encore la rageuse envie de repartir de plus belle au combat.
Mais comme il en a pris la fâcheuse habitude, Cycnos l’humilie une fois encore en lui remémorant son infériorité.
Refusant d’abdiquer, Apodis lève les yeux vers son adversaire qui le dévisage avec mépris.
Malgré une nette fatigue, Apodis prend par surprise son ennemi.
Il fait exploser son cosmos pour projeter son corps, tête la première, contre la poitrine de l’Ange.
Stupéfait et démuni, Cycnos en lâche son diadème. Il est projeté dans les airs et s’y maintient en créant des ailes d’énergie afin d’éviter une dangereuse chute.
Entre lui et le sol, le sang qui s’échappe de sa Glory fissurée s’égoutte jusqu’à son adversaire.
Le Saint est étendu sur le pavement, inconscient, souffrant d’une terrible lésion crânienne après le choc. Sa perte de connaissance le plonge dans de sombres souvenirs qui le rapprochent peu à peu du terme de sa vie…

Flashback
Grelottant, Apodis rentrait dans son logis avec quelques bûches dans les mains. La cape sous laquelle il s’était abrité était couverte de neige en ce mois de décembre 1983.
En balançant un morceau de bois dans la cheminée, il se précipita tout sourire au chevet de sa bien-aimée.
Autour d’elle, des prêtresses s’affairaient à faciliter l’accouchement du fruit de leurs amours.
Surexcité, Apodis leur déclara : « J’ai relancé le feu. Je ne veux pas que notre enfant ait trop froid ! »
Pour réagir à son grand sourire, une prêtresse adopta une mine empruntée.
Eprouvant un profond malaise, Apodis se précipita au chevet de Netsuai : « Que… Quoi… Que se passe-t-il ? »
Aucune prêtresse n’osait répondre au chevalier, elles poursuivaient le nécessaire à la mise au monde de l’enfant.

C’est finalement Netsuai, livide, qui attrapa avec sa main gauche munie d’une alliance, celle de son époux, ornée du même bijou : « Mon époux… Les prêtresses disent que je perds trop de sang…
_ Ne… Non… Ce n’est rien. Hein ce n’est rien ? N’est-ce pas, questionnait Apodis autour de lui l’air faussement rassuré ? »
Aucune des sages-femmes ne répondait. Apodis commença alors à moins bien gérer son angoisse : « Non, ce n’est pas possible. Ce n’est rien. Je vais te couvrir de ma cosmo énergie pour empêcher ceci. Je vais soigner cette hémorragie et…
_ J’ai déjà perdu trop de sang, apparemment je serai trop faible après la mise au monde de notre enfant pour m’en remettre et… »
Netsuai, pousse d’inaudibles cris de souffrances, alors qu’apparait peu à peu la tête de l’enfant.
Apodis serra fort sa femme et, contre son avis, l’inonda de son cosmos puissant et chaleureux.
Il était tellement concentré sur le visage de sa femme, espérant la voir se remettre, qu’il n’entendit pas une prêtresse scander : « C’est un garçon ! »
Il ne regarda même pas son fils, lorsqu’une autre le prit à bras et le débarbouilla de tout le sang dont il était couvert.
Les linges sur lesquels Netsuai était allongée, étaient si imbibés que l’hémoglobine gouttait sur le sol, incapables d’en absorber plus encore.

Soudain, un sourire apparu sur les lèvres de Netsuai, craquelées par sa mort imminente.
Ses yeux, gondolés de larmes en se faisant une raison, distinguèrent l’apparence de ce petit être qui naquit de son amour inestimable pour Apodis.
Elle accueillit le petit homme contre sa poitrine et le plaqua. Elle le maintenait fort contre elle en mélangeant soulagement et chagrin.
Elle échangeait cette fusion d’apaisement et de souffrance avec son mari impuissant qui voulait à la fois partager leur joie d’être parents et le refus d’abdiquer devant la mort.
Son corps était de plus en plus froid et elle ne ressentait plus la douleur. Pas plus que le poids du nouveau né posé dans ses bras.
Elle ne ressentait pas non plus la chaleur du cosmos de son mari, plongé de plus belle contre elle et leur fils.
Elle n’entendait plus non plus. Ni les pleurs de l’enfant. Ni Apodis étouffer ses sanglots contre l’oreiller.
Il ne lui restait que sa vue en parfait état.
La douleur partie, il ne lui restait que le bonheur de la vue de cet enfant et l’affliction qu’elle laissait à son mari.
Les prêtresses, impuissantes, avaient abandonné la pièce les unes après les autres.
Avec le peu de force qui lui restait, Netsuai saisit son époux pour le serrer encore plus fort contre eux. L’obligeant ainsi à relever la tête et à abandonner ses efforts inutiles.
D’une voix haletante et faible, elle murmura : « Sperare… signifie… espérer en italien… Notre fils… Sperarus… Il s’appellera… Sperarus… Parce qu’il est… pour moi… l’espoir… de te savoir… heureux… malgré… mon absence… »
La douleur était si grande qu’Apodis n’arriva pas à lui répondre. Il ahanait de chagrin.
L’enfant cessa ses pleurs, comme pour accompagner calmement sa mère dans ses derniers instants.
_ « Apodis… Je te laisse un petit peu de moi grâce à Sperarus… Je vous aime… Apodis Sperarus… Merci pour tout… »
Aussitôt, Apodis entendit le c½ur de son épouse battre une dernière fois. Le battement retentit dans son esprit. Mais il idéalisait tellement sa femme, il la voyait si forte, qu’il aurait pu jurer que ce dernier interlude en aurait fait craquer les murs. 
Il plongea son regard malheureux dans le sien, pour lui répondre à quel point il l’aimait lui aussi mais aucun son ne put sortir.
Seulement, alors que ses membres cessaient toute étreinte, les yeux de Netsuai pouvaient lire, comme ils l’avaient toujours fait, l’amour que lui vouait son époux.
Puis, plus rien. Il ne resta qu’un sourire sur ce visage désormais éteint.
Apodis prit son enfant et pencha son visage sur celui de sa femme qu’il embrassa sur ses lèvres une dernière fois. Puis, il ferma ses paupières en gémissant : « Moi aussi, je t’aime Netsuai. »
Il recula de trois pas et, s’effondra.
Il chuta sur son postérieur, l’enfant à bras.
Il hurla de douleur pendant que le nourrisson le regardait avec curiosité de ses petits yeux innocents…
Flashback

Le bruit de la chute incessante d’une goutte dans une flaque travaille le subconscient d’Apodis.
_ « Est-ce le bruit de mes larmes qui ne cessaient de couler ? Je ne crois pas. C’est moins limpide. Cela veut dire que je ne suis pas encore auprès de vous… Netsuai… Sperarus... Oui, ce ruissellement, c’est celui du sang de mon adversaire. Cela veut dire que le combat n’est pas terminé. Et puisque je suis voué à vous rejoindre, autant que je le fasse en Saint d’Athéna. En hommage pour mes amis défunts, pour Hébé, pour Athéna… Et pour vous ! »
Apodis revient à lui en murmurant : « Oui, pour vous et tout l’amour que les hommes peuvent partager entre eux… »
Il expose son corps recouvert d’hématomes et achève sa phrase en hurlant : « … Je mourrai en homme fier ! »

Cycnos regagne l’arène et prononce, impassible : « Je vais mettre un terme définitif à cette hérésie. »

Apodis ramasse le diadème abandonné par son opposant et lui balance à pleine vitesse.
Semblable à un objet hostile à cette allure, Cycnos l’esquive et ne peut reprendre sa garde à temps. Le Saint cogne l’Ange en pleine poitrine et enchaîne de plusieurs coups de poings sur l’ensemble de son torse. Cycnos entrevoit une ouverture, dont il profite d’un direct du droit en plein visage. Il l’attrape par le cou pour le balancer contre le mur en haut duquel sont installés les dieux. Cycnos espère le coincer contre le mur en lui éclatant la tête contre la roche.

Le carambolage est si impressionnant, que l’assistance croit entendre le fracas de la boite crânienne d’Apodis.
Seulement, rien d’autre que la roche froide n’est fracturée par Cycnos.
L’Ange regarde instinctivement dans les airs et reconnaît Apodis, bras écartés, tel un oiseau qui déploie ses ailes sous le soleil levant, comme pour en absorber la chaleur.
Les ongles du chevalier de bronze s’allongent à mesure qu’il retombe en direction de son adversaire, comme un rapace qui rase le sol pour piquer dessus au dernier moment.
De ses dix doigts brûlants il entame l’armure de l’Ange et passe au travers pour taillader sa chair et la calciner par la même occasion.
En retombant derrière lui, Apodis murmure le nom de son arcane : « Shining Apus Claw. »

Encore debout, profondément lacéré et brûlé aux nombreux points d’impacts choisis par l’être humain, l’Olympien maintient avec difficulté son imperturbabilité. Ses veines maquillent son expression d’une profonde haine.

Le Saint dresse toujours sa tête aux yeux gonflés en direction d’Hestia.
Même s’il n’arrive plus à le voir, il tient à exposer jusqu’au terme de sa vie sa volonté de venger Philémon et les Hébéïens victimes de la Déesse du Feu Sacré et du Foyer.
En même temps, il cogite : « Les Serres Brûlants de l’Oiseau de Paradis n’ont pas réussi à l’achever. Mes réserves s’épuisent. Il me faut achever ce combat au plus vite. »

Cycnos profite de l’immobilité de son adversaire pour l’attaquer dans le dos en balançant sa jambe en direction de sa tête.
Étalant toutes ses dispositions et son expérience, Apodis perçoit le mouvement sans avoir à l’observer. Il s’abaisse pour esquiver et riposte d’un coup de coude en plein visage en faisant volte-face.
Cette fois-ci, c’est Cycnos qui est projeté contre le mur de pierre.
En se heurtant la tête contre, l’arrière de son crâne s’ouvre et libère une importante quantité de sang qui se mêle à ses longs cheveux soyeux. Autrefois azure, sa chevelure est désormais vermillonne.
Bluffé par la résistance de l’humain et son cosmos toujours plus puissant chaque fois qu’il se relève, Cycnos refuse de s’avouer vaincu.
Il effectue un coup de pied retourné qu’Apodis évite en basculant sa tête en arrière. Il profite de l’élan pour cogner avec sa tête Cycnos en pleine tempe.
L’Ange repart s’appuyer contre le mur pour se maintenir debout. Il lève la tête en direction de la tribune d’honneur.

Là-haut, Hermès se lève pour manifester sa lassitude.
Arborant sur ses cheveux couleur or son pétase, sa longue robe bleue agrémentée d’une cape blanche qui entoure ses très larges épaules se plie à mesure qu’il s’incline en direction de Zeus : « Ô Seigneur Zeus. Ce combat a duré de trop longs instants pour me permettre de m’y intéresser davantage. J’aimerai retourner auprès de mes fidèles afin de bénir les offrandes qui m’ont été apportées. »
Aux côtés de son père, Apollon répond pour lui avec cette flegme qui le caractérise : « Hermès. La vue de cette mise à mort t’affecte-t-elle ?
_ Aucunement. Seulement, je me languis de la fin de cet être qui ne vient pas. »
Les petits yeux sombres et inquiets d’Hestia suggèrent : « D’autres Anges pourraient intervenir pour en finir au plus vite. »
Le visage très fin, les traits très tirés, Héra fixe de ses yeux larges et plissés qui expriment à chaque instant la supériorité dont elle se glorifie, sa semblable : « Et cela reviendra à avouer au peuple l’impuissance d’un seul Olympien face à un seul homme. »
La voix tonnante de Zeus clôt le débat : « Nous n’en sommes pas là. Nous resterons tous ici pour rappeler aux Olympiens qu’un homme a subi mille tourments pour avoir osé défier les dieux. »
Aussitôt, parfaite dans sa robe cristalline, Aphrodite indique d’un pressant hochement de tête à l’Ange qui est à son service d’achever au plus vite le combat.

Cycnos s’exécute alors. Ses ailes d’angelot, invoquées par son cosmos s’enroulent autour de lui pour concentrer tout ce dont il est capable.
Peu bavard, comme l’ensemble des siens, Cycnos gratifie Apodis de quelques explications : « Je vais rassembler toute ma cosmo énergie pour t’achever. Ma Douche Soufflante libère un coup qui perce toute défense et surtout toute surface qu’elle rencontre. Tu seras déchiqueté par l’impact. Blowing Shower ! »
Les ailes de Cycnos ne laissent qu’une boule d’énergie absorbée par son poing, afin de mieux la libérer sur le chevalier.
Les bras ballants, Apodis ne réagit que trop tard. Il évite au dernier moment que son c½ur soit frappé. Hélas, c’est à droite de sa poitrine que le faisceau lumineux libéré par Cycnos le transperce.
L’Oiseau de Paradis retombe sur le dos, un trou aussi large qu’une balle de tennis en plein pectoral droit duquel s’écoule avec abondance énormément de sang…


En dehors de la tour de garde où vit Mû à Jamir, urnes encapuchonnées sous des draps, Mei, Nicol et Yulij attendent que Médée daigne sortir de la tour.
_ « Un long voyage pendant lequel nous ne pourrons pas faire l’usage de nos cosmos nous attend encore, soupire Mei. »
Tous les trois armés sous le bras d’un maigre paquetage, ils feignent de tomber à la renverse quand Médée arrive déjà toute vêtue de son poncho et d’un chapeau en criant avec le soleil dans la voix : « Mexique me voilà ! »
Sous ses bras, d’énormes sacs de pagnes accompagnent le reste de sa garde-robe.
Mei se moque d’un ton méprisant : « Tu espères passer incognito dans cette tenue. Le Mexique c’est encore loin je te signale. »
Involontairement, mais toujours dans la contrariété à destination de Mei, Nicol relève : « Toutefois je note que tu as eu l’ingénieuse idée d’ôter ton masque et de voiler ton visage. Cela semblera déjà moins louche lorsque nous traverserons le monde contemporain. »
Les grands yeux mauves de Médée, seul attribut visible de son visage, scintillent de plaisir pour une fois qu’on lui évite une moquerie.

Yulij l’imite en tournant le dos aux siens.
A visage découvert, elle est soudain attirée par une distorsion sur le sol juste devant. Elle pivote légèrement en avant pour identifier cet étrange phénomène quand tout à coup deux énormes yeux globuleux apparaissent. Tout autour de ces globes, se dessine la silhouette d’un enfant aux cheveux roux et au sourire chenapan.
Déstabilisée, le Saint du Sextant tombe en arrière et ramasse aussitôt le linge qui dissimule sa Pandora Box pour se cacher derrière.
L’enfant, identifiable comme étant un Muvien grâce aux deux points qui marquent son front, adopte l’attitude d’un être ensorcelé : « Ouah ! Comme elle est belle ! »
Passablement révolté qu’on ait pu voir le visage de sa bien-aimée, Mei dresse déjà son poing en avant : « Qu’est-ce qu’il a dit ?! »
Médée s’interpose entre l’enragé et le clown qui continue de vanter la beauté de la jeune femme : « Kiki ça suffit ! »
Nicol, bras croisé, ne peut s’empêcher de trouver cela amusant.


En Olympe, le coliseum applaudit déjà la mort proche d’Apodis.
Passablement amoché, Cycnos, le cinquième Ange de suite à faire front à Apodis, reçoit les louanges qu’il a difficilement méritées. En effet, le sang qui le souille et sa Glory en piteux état, attestent la difficulté qu’il a eu à venir à bout de cet homme qui ressort chaque fois plus fort des épreuves rencontrées.

Là, étendu dans son sang, l’être conspué glapit en essayant de contenir sa douleur pour se relever.
« Ces Anges… Un jour ils viendront sur Terre détruire tout ce pourquoi je me suis battu jusqu’à présent. Tout ce qui a été construit au prix d’innombrables sacrifices. Je ne peux laisser les tombes de ma mère… De mon épouse… Et… De mon fils ! … Je ne peux pas les laisser être profanées par ces dieux qui nous rabaissent, s’encourage-t-il ! »

Les acclamations de la foule s’amoindrissent à mesure qu’Apodis reprend appui sur ses membres devant un Cycnos interdit : « P… Pourquoi insiste-t-il ? Les humains font preuve de lâcheté. Ils renoncent au moindre obstacle. Alors pourquoi lui… »
Plus mort que vif, Apodis ne laisse pas à Cycnos le temps d’achever sa réflexion.
Il balance une gauche avec désespoir. L’Ange s’en saisit sans le moindre mal : « Aussi combatif puisses-tu être, tu es limité par ton humanité. Tu as épuisé toutes tes forces. Il ne te reste rien. »
Ayant trop de mal après les heurts subits pour bouger correctement sa mâchoire, Apodis rétorque difficilement : « Si. Il me reste ma combativité. »
Il rappelle si fort et si soudainement sur son poing gauche prisonnier que Cycnos en est déstabilisé et ne parvient pas à éviter une nouvelle droite, bien plus inquiétante et dangereuse que le coup précédant. Celle-ci transperce la poitrine de Cycnos au même endroit où ce dernier a infligé son Blowing Shower à Apodis.

L’assistance est coite.
Certains fidèles se retournent de nouveau vers leurs dieux, pour les prier avec davantage d’assiduité.

Cependant, au centre de l’arène, rien ne change.
Cycnos profondément meurtri essaie de balancer une droite à laquelle Apodis riposte avec plus de vitesse d’un coup en pleine face.
Cycnos tente le tout pour le tout en vidant toute sa cosmo énergie dans la bataille : « Blowing Shower ! »
Cette fois-ci, Apodis bloque le coup dans la paume de sa main. L’onde de choc est si puissante, que l’épaule droite d’Apodis cède sous la pression exercée, dans une gigantesque éclaboussure de sang. Néanmoins, comme s’il devenait insensible à la douleur, le Saint n’abdique pas et, tout en gardant le bras de son adversaire prisonnier de sa paume, il libère avec son autre bras son arcane habituel : « Wing Jikan No Yoyu ! »
Et même s’il n’a plus qu’une seule aile, le Battement d’Ailes Majestueux libère un cosmo insoupçonné qui arrache progressivement l’armure de Cycnos.
Puis son épiderme.
Jusqu’à le désintégrer totalement…

Le vent cosmique et violent libéré par Apodis souffle jusqu’aux loges divines où Héphaïstos protége les siens, loin d’être inquiets, en le contrant d’un vulgaire revers de la main.

Plus bas, les genoux tremblants, Apodis lutte pour rester debout. Il sait qu’un sixième Ange va le rejoindre.
Instantanément, la silhouette gracieuse d’une Olympienne apparaît pour lui donner raison.
Celle-ci porte une Glory adaptée à ses formes féminines. Le bustier libère sa frêle poitrine, tandis que l’armure protège ses jambes, dès le bas de ses fermes cuisses. Ses yeux gris font le tour de la surface de combat, sans jamais s’attarder sur l’être humain qu’elle dénigre lorsqu’elle parle de lui.
En s’agenouillant en direction de sa maîtresse, elle déclare : « Ô Déesse des Plaisirs et de la Beauté, je m’engage personnellement à achever ce misérable Saint d’Athéna. Moi Penthesíleia Ange de l’olympe j’en fait le serment sur ma Glory. »

Après sa révérence, toujours sans poser le moindre regard sur son adversaire, la guerrière aux longs cheveux noirs bouclés se contente de pointer le doigt dans sa direction : « Amazon Arrow Express. »
Un filet de lumière traverse Apodis en plein genou droit. Toutefois, il ne fléchit pas pour autant. Penthesíleia réitère la même technique sur le genou gauche sans pour autant qu’Apodis ne perde l’équilibre.
L’Ange s’en inquiète : « Les Flèches Expresses des Amazones sont sensées faire perdre toute vie à l’organe qu’elles touchent. Les cellules de tes genoux auraient dû se dissoudre et tes jambes lâcher dès que mes flèches t’ont transpercées. »

Tête baissée, le corps balançant au gré du vent, le chevalier ne répond rien.
Face à cette attitude, l’Ange tend ses dix doigts en direction du mort-vivant : « Dans ce cas, je vais libérer toutes mes forces : Amazon Arrow Express ! »


Au pied de l’Himalaya, mélangé à la population locale, la bande de Nicol et Mei entame son périple.
Derrière, Mei grommelle encore contre l’arrivée fortuite de Kiki.
En tête, Nicol partage les impressions de la Muvienne concernant le garnement.
_ « … Je vois, donc Mû en a fait son apprenti. Il est très doué pour la téléportation en tout cas, s’amuse Nicol. »
Cette dernière remarque ne fait guère sourire Mei.
Médée poursuit : « Durant ces derniers mois il est resté au Japon, au c½ur du conflit entre le Grand Pope et Athéna. Mû a voulu qu’il assiste à la bataille au plus près, afin de le confronter à la réalité des combats de Saints.
_ Tu ne lui as pas dis où nous allons, interroge Nicol ?
_ Non. Il a la langue bien pendue. J’aurai trop peur qu’il en parle à Mû. Je ne veux pas détourner mon mari de sa mission.
_ Tu as bien fait. Et Kiki sait au moins où est Mû ?
_ J’ai refusé de le lui dire. S’il est aussi doué que mon époux le prétend, alors il parviendra à le localiser tôt ou tard et à le rejoindre lorsqu’il arrivera au Sanctuaire s’il n’y est pas déjà parvenu aux Cinq Pics. »


Au centre de l’arène de l’Olympe, dix flèches libérées des mains de Penthesíleia viennent transpercer les principaux points vitaux d’Apodis.
Seulement, l’Olympienne aux belles anglaises n’obtient pas l’effet escompté.
Apodis erre toujours au c½ur de la surface de combat. Seuls quelques filets de sangs s’écoulent des plaies.
_ « Non. Non une seule flèche devrait avoir raison de toi. La destruction des cellules se propage dans tout ton corps. Là j’ai même percé ton c½ur et ton cerveau des Flèches Expresses des Amazones.
_ …
_ Que… Quoi ? Je n’entends pas ? »
La foule se tait pour essayer de percevoir les sons qui s’échappent de la bouche d’Apodis : « … »
Ne craignant plus rien de ce cadavre ambulant, l’Ange se rapproche et lui flanque une droite qui le fait juste reculer d’un pas.
Face à une telle insensibilité, l’Ange lève les yeux l’air penaud vers Aphrodite.
C’est à cet instant, à une vitesse que seuls les dieux peuvent percevoir, qu’Apodis accroche la gorge de Penthesíleia : « Je disais, il est normal que je ne sente pas la destruction de mes organes. Je ne ressens plus rien depuis des heures déjà. »
La voix enrouée, Penthesíleia reste médusée : « C’est impossible. »
_ « Rien n’est impossible pour l’homme. Nous vivons en harmonie avec l’univers. Et même si nos corps sont brisés, le cosmos, lui, est immortel. »

Au sommet du coliseum, Zeus surprend tout le monde : « Face à l’immortalité des dieux, il a répliqué par la fusion de son cosmos avec l’univers. Il a atteint l’éveil. »
Tous posent les yeux vers leur maître, hormis Apollon qui reste rivé sur le combat.

Sans remord, Apodis continue de serrer ses doigts sur la gorge de la guerrière céleste.
Celle-ci prononce difficilement le nom de son arcane en libérant par centaines des Flèches Expresses des Amazones sans pour autant faire flancher Apodis.
Au contraire, le cosmos doré du Saint devient blanc, immaculé. Sa voix retentit dans tout le stade : « Frantic Fury ! »
Il libère avec son autre main un oiseau de cosmos opalin qui arrache instantanément toute trace de Penthesíleia.

La Furie Frénétique d’Apodis gagne la tribune d’honneur une fois de plus.
Héphaïstos se contente du même mouvement qu’auparavant.
Malgré cela, rien n’y fait.
Il est contraint cette fois-ci, au dernier instant, d’écarter les deux bras pour mettre fin à cette vague menaçante.
Une sueur froide roule le long du dos du Dieu du Feu, des Forges et des Volcans.
Hestia, profondément marquée par la blessure provoquée par l’abnégation d’Apodis par le passé, se cachait déjà les bras face à la déferlante.
Apollon se redresse d’un mouvement lent et calculé.
Sans même craindre la colère de Zeus qui doit le leur autoriser, Apollon est debout pour mieux dominer les siens.
_ « Aphrodite. Je pense que tes Anges ont fait ici l’étalage de leur faiblesse. Je vais m’occuper de faire cesser cette offense. Helénê. »
A l’appel de son nom, l’Ange plus connue sous le nom de Ksénia apparaît derrière son maître. L’amante de Vasiliás et la prétendue amie de Saori Kido se montre dans sa Glory qui épouse à merveille ses courbes si généreuses. Le petit c½ur rosé tatoué sur sa joue et ses yeux topaze lui donnent une allure que les autres Anges n’ont pas.
Face à l’attitude autoritaire d’Apollon, tous sont pendus aux lèvres de Zeus, impatients de connaître la suite.
Celui-ci la fait connaître en exposant à son tour sa très grande taille, bien plus imposante encore que celle de son fils : « Assieds-toi, mon fils.
_ Dieu des dieux je… »
Des éclairs accompagnent la grogne du dieu des cieux : « J’ai dit… Assieds-toi ! »
La colère dans la voix provoque une onde de choc qui cloue les spectateurs à leurs sièges.
Digne, Apollon s’exécute en gardant le menton en l’air et sans baisser les yeux.
Zeus poursuit plus calmement : « Envoyer Helénê. La plus puissante de tous les Anges réunis, l’être le plus puissant au monde après les dieux, pour abattre un Saint d’Athéna. Si nous en arrivons là, c’est que cet homme à quelque chose de spécial. Les humains font d’habitude preuve de peu de persévérance. Alors que lui, regardez-le, même à l’article de la mort, il se met de nouveau sur pieds pour faire face. Je laisse une dernière chance à Aphrodite de me prouver que ses Anges sont à la hauteur.
_ Bien, dans ce cas, j’appelle Troïlos, acquiesce Aphrodite honteuse.
_ Ne devrais-tu pas plutôt appeler Hektor et Paris ? Après tout, ils sont tes plus puissants défenseurs, suggère Artémis.
_ Ils composent ma garde personnelle. Troïlos sera parfait pour clore ce combat. »

A l’appel de son nom, le nouvel Ange arrive depuis les airs.
Les cheveux mi-longs, blond pâle, le teint laiteux, ce grand et mince chevalier céleste a une allure très élancée. Ses yeux couleur or s’accordent à merveille avec les deux petits anneaux accrochés à ses oreilles.
Alors que tout porte à croire en la venue d’une entité douce et délicate, comme le son de sa voix, son sourire perfide le trahit : « Quelle horreur. Un être humain qui souille ces lieux. Et qui plus est dans cette tenue et dans cet état. N’as-tu pas honte de vivre ? Il n’y a rien de plus misérable que la condition humaine. Mais dans cette situation, commettre l’outrage de persister à arborer une telle impolitesse devant nos dieux représente le plus grand sacrilège. »
Les bras croisés, refusant de toucher terre, lévitant à merveille grâce à ses ailes d’énergie, Troïlos est surpris par la réponse narquoise du Saint.
Alors qu’il tangue en fonction de l’insistance avec laquelle sa tête lui tourne, Apodis s’amuse à faire de l’esprit en balbutiant : « Parle autant que tu veux, je n’entends plus rien de toute façon. »
Comme une personne ivre, Apodis se met à ricaner nerveusement.

Cette attitude nonchalante provoque l’indignation des tribunes.
Celles-ci implorent les dieux par d’incessantes prières de mettre un terme à tout cela.

Troïlos, croise ses jambes et se tient dans les airs comme s’il était allongé sur un divan, la tête reposant dans la paume de sa main : « Je comprends mieux maintenant pourquoi Eurypylos et les autres ont été vaincus. Tu t’es affranchi de toutes tes faiblesses pour revenir au sommet de ta force. Tu tires cette énergie de l’univers. Ce qui pourrait te rendre invincible. Seulement, pour maintenir un tel niveau, il faut avoir l’esprit sain. Garderas-tu la même détermination une fois que… »
L’Ange s’évapore dans l’atmosphère pour réapparaître dans la même pose mais juste au-dessus d’Apodis sur le crâne duquel il effectue de son index une légère pression tout en achevant sa phrase : « … la Fantasmagorie Angélique t’aura entretenu du fond de sa pensée ? Angelic Fantasia. »

Instantanément, ses sens reviennent peu à peu à Apodis…
L’Olympe disparaît, pour laisser place à une plaine fleurie à l’herbage doux où de jolis rosiers s’enroulent sur les vestiges de temples anciens…
Des fleurs aux pétales jaunes, rouges ou violettes voguent au gré du vent.
Le soleil radieux réchauffe le visage du Saint assis sous un arbre, sur lequel chantent des oisillons.
Il s’étonne de se voir habillé de sa tunique turquoise en parfait état.
Proche d’un lac à l’eau pure, là où il a rencontré Netsuai pour la première fois, le chevalier de bronze distingue au loin son épouse approchant avec leur fils dans les bras.
_ « Ils sont magnifiques n’est-ce pas, lui demande une voix étrangement familière ? »
Le Grec se retourne et reconnaît Mujakis, sa mère, à laquelle il ne répond que d’un regard stupéfait.
Mujakis comprend alors : « Oh, notre présence te trouble sûrement ? »
En prenant appui contre le tronc sur lequel il est adossé, Apodis tente d’approcher sa mère qui recule. Elle emprunte la direction de Netsuai et Sperarus : « Qu’attends-tu ? Viens avec nous ?
_ Je ne peux pas. Je dois me battre.
_ Te battre ? Mais pourquoi donc ? Que trouveras-tu après cette bataille ? Plus personne ne t’attend. Alors que nous nous sommes là. »
Le jeune homme grimace en baissant la tête.
Inconsciemment, il amorce un pas, puis deux, en direction de sa femme et de son fils.
L’air est si doux. Les éclats de rire de Netsuai qui n’étaient qu’un lointain souvenir, sont si réels.
Arrivé à leur hauteur, Apodis reconnaît les gazouillis de Sperarus.
Il est saisit au c½ur par un sentiment insoutenable de bien-être lorsque Netsuai lui sourit avec amour. Le soleil reflète sur ses cheveux bruns quelques mèches orangés et fait ressortir le bleu profondément amoureux de ses yeux.
Sur son épaule, Apodis sent la main chaude et pleine de compassion de sa maman : « Allons, prends-les dans tes bras. Ils n’attendent que ça.
_ Mais… Puis-je vraiment ? Pas maintenant ! Je suis en plein combat, dit-il par réflexe en faisant le tour de lui-même pour chercher son adversaire ! »
Pourtant, ni à proximité, ni à l’horizon, rien ne ressemble à ce coliseum, où depuis des heures ses pieds glissent dans son sang.
_ « Quel combat ? »
Apodis s’obstine à guetter le moindre danger. Mais ni les injures des Olympiens, ni la voix tonnante de Zeus ne lui viennent. Il n’entend que les oiseaux et sa femme rire avec leur fils.
_ « Mais… Puis-je vraiment… Ils ne font plus partis de mon monde désormais, se persuade Apodis. »
Netsuai tend leur enfant dans sa direction et s’inquiète de sa douce voix : « Comment peux-tu dire ça ? Tu es si proche de nous à présent ! »
Apodis détourne son regard vers une statuette d’Athéna couverte de verdure : « C’est que… J’ai une mission… Et Juventas… Et sa fille Agape… Elles méritent que je me batte encore. »
Netsuai reprend son enfant contre sa poitrine : « Comment ?! Tu veux dire que tu nous as remplacé ?! Que tu les aimes plus que nous ?!
_ J… Jamais de la vie… Ce n’est pas… »
Ne voulant peiner davantage celle qui lui manque tant, Apodis s’approche encore pour chercher son fils.
Le bambin tout potelé, dégage cette même odeur d’onction hydratante qu’il lui appliquait sans cesse et qu’il achetait sur le marché d’Honkios.
Il ferme les yeux pour savourer plus intensément cet instant…

Dans le coliseum, l’assistance est muette.
Sans n’avoir rien fait d’autre que de toucher le crâne de son adversaire, Troïlos réussit à faire chuter Apodis.
Réduit à l’état de chair sans âme, le Saint de l’Oiseau de Paradis retombe lourdement sur le dos.
Les battements de son c½ur ralentissent inexorablement.
Toujours confortablement installé en lévitation, Troïlos commente : « Son âme est à deux doigts d’accepter la funèbre fatalité qui a été réservée aux siens. Il va retrouver ceux qu’il aime en renonçant à sa volonté combative. »

Prisonnier de son subconscient, Apodis poursuit l’étreinte contre son petit garçon.
Peu à peu, il étouffe en sanglot : « Vous m’avez tellement manqué. Je meurs chaque jour depuis que vous m’avez quitté. »
Par compassion, Netsuai se laisse submerger par l’émotion. Elle tend Sperarus à Mujakis pour se consacrer à son époux. Elle ramasse son visage de ses soyeuses mains et essuie avec ses pouces les larmes d’Apodis : « J’imagine. Tu avais perdu le sens de ta vie. »
Elle commence à s’approcher de lui pour l’embrasser.
Instinctivement, il se laisse guider.
Son c½ur en crève d’envie, il a attendu ce moment si longtemps.
Pourtant, quelque chose le dérange.
La dernière phrase de Netsuai le contrarie. Au dernier moment, il tourne la tête et se contente de serrer contre lui sa chère et tendre. Ses yeux marquent un trouble de plus en plus profond : « Le sens de ma vie…
_ Quelque chose te dérange ?
_ Vous êtes le sens de ma vie.
_ Alors pourquoi ne m’embrasses-tu pas ?
_ L’amour est le sens de ma vie.
_ C’est nous que tu aimes, alors pourquoi ne m’embrasses-tu pas ? »
Apodis recule progressivement, refusant de regarder plus longtemps les siens : « Parce que c’est vous que j’aime justement. Parce que Juventas et Agape me l’ont rappelé. »
Le visage de Netsuai se crispe. A mesure qu’il s’éloigne elle perd patience : « Tu les aimes plus que nous !
_ Je n’aime pas plus Juventas et Agape que vous. Je vous ai dans la peau, au plus profond de moi. Et elles je les aime, parce qu’elles me rappellent chaque jour que j’ai pu avoir une famille, auprès de laquelle j’ai fais le serment de me battre pour l’amour et la justice sur Terre. Le sens de ma vie ! Ce sont elles qui m’ont convaincu de poursuivre la lutte pour honorer votre mémoire ! Afin de tenir la promesse que je t’ai faite, d’être le chevalier que tu as toujours voulu que je sois ! »
Apodis revient à l’arbre contre lequel il se reposait et arrache sa tunique pour exposer son torse criblé des empreintes de ses récents combats.
Déguisé de la robe rose qui sert de la poitrine à la taille Netsuai, Troïlos laisse apparaître totalement son visage : « Tu ne peux refuser l’amour des tiens ! »
Totalement apathique, comme il l’est en dehors de son subconscient, Apodis réalise un effort pour prononcer : « En effet. Je ne peux y renoncer. C’est pour ça que je me bats : Shining Apus Claw ! »
D’un lourd mouvement de bras, il projette les Serres Brûlants de l’Oiseau de Paradis qui viennent entailler et incendier le visage de Troïlos.
Le hurlement de douleur de Troïlos brise le charme.

Sur l’air de combat, Apodis se relève inexorablement.
Troïlos, lui, perd son équilibre et s’effondre au sol, le diadème brisé, le visage entre les mains sous le regard médusé de l’assistance.

En tribune, tous se regardent.
Au sommet, Aphrodite tourne très lentement la tête vers Zeus de crainte de recevoir son courroux.
A la place de celui du dieu des dieux, concentré sur le centre du coliseum, elle encaisse celui d’Apollon, toujours immobile dans son siège.

Le cadavre ambulant qu’est le chevalier de bronze entame sa pénible approche en direction de l’Ange.
Ce dernier, rampe désespérément en voulant cacher son faciès lacéré. Lui, si fier de son apparence androgyne, ressent au plus profond de ses entrailles la chaleur des Serres Brûlants.
Bavant, ne contrôlant plus son martyre, Apodis bredouille : « C’est fini… J’ai gagné… »
Désemparé, Troïlos abandonne sa fuite et reprend le combat. Il affiche son faciès épouvantablement distordu par l’arcane essuyé.
_ « Bien. Si la douceur de la mort que je t’offrais ne te convient pas. Je torturerai ton esprit. Angelic Fantasia ! »
Il cogne en plein tempe Apodis qui laisse le coup envahir son esprit…

Le coliseum laisse place à la maison d’Apodis dans le village de Paesco.
Le Saint de bronze porte son armure, abîmée après la bataille menée contre Hébé, lors de la Journée Sainte de 1985.
Bien que blessé, son corps ne porte pas les mêmes plaies que celles laissées par les Anges, loin de là.
La demeure est ravagée après le passage du Caraib Ghost Saint de la Méduse et du combat mené contre Mensa de la Table.
Ses pieds trempent dans le sang des siens et son regard est figé sur le petit corps sans vie de Sperarus.
Le nourrisson baigne dans une marre d’hémoglobine. Il crie de toutes ses forces en demandant au ciel une explication.
Apodis se retrouve exactement dans la peau de celui qu’il était le 4 mars 1985, alors qu’il découvrait le soir de la Journée Sainte la mort des siens.
Même homme. Mêmes circonstances. Mêmes questions.
Néanmoins, une voix venue d’outre-tombe lui donne les réponses qu’il n’a pas eu à l’époque.
Rocailleuse et méprisante, il reconnaît le timbre insultant de son père Frontinus Caraib Ghost Saint de la Méduse : « C’était inévitable. Tu n’es qu’un faible et c’est ce qui arrive aux faibles. Ils ne peuvent protéger leur famille. »
Aussitôt, il dévisage cet homme au menton carré et aux petits yeux noirs remplis de haine. Ses cheveux blancs poisseux sont couverts d’un heaume arrondi qui représente l’animal symbole de son armure de mercenaire, la Méduse.
Le Caraib Ghost Saint tient encore dans sa main sa femme qu’il a assassiné : « Tu ressembles comme deux gouttes d’eau à ta mère. Ah… Mujakis ! Elle gémissait comme une catin pendant que je la violais sous les yeux innocents de ton fils. »
Apodis, impuissant, médusé, fait un signe négatif de la tête comme pour refuser ces allégations.
_ « Et ton petit garçon braillait aussi fort que toi lorsque je te battais pendant que je l’étranglais avec mes tentacules…
 _ Non, geint Apodis en passant sa main devant sa bouche…
_ Je regrette que tu n’ais pas pu assister à tout ceci. J’aurai voulu lire le désespoir dans tes yeux, comme je le lis en cet instant.
 _ Arrête, implore Apodis en retenant ses sanglots ! »
Le mercenaire arrache les vêtements de Mujakis et s’amuse à la traîner dans le sang qui s’écoule de son corps : « Regarde comme je la rabaisse à ton rang. Un insecte. Une larve. »
Apodis tape des poings sur le sol, pendant que Frontinus part dans un fou rire machiavélique : « Arrête ! »
Le père indigne, reprenant peu à peu les traits de Troïlos, poursuit ses sarcasmes.
L’Ange s’étonne de devoir forcer davantage sur la voix de Frontinus pour se faire entendre.
En effet, la névrose d’Apodis prend le dessus.
Le visage dans les mains, le Saint de bronze se gausse.
Nerveusement, la folie prend le dessus.
Troïlos n’arrive plus à s’entendre.
Il est étonné d’être dérangé par un autre éclat de folie que celui qu’il joue.
Apodis relève les yeux, hilare, devant un Troïlos médusé.
Gardant la voix du monstrueux paternel du Saint de bronze, l’Ange s’indigne : « Qu’est-ce qui t’amuse ? Tu ne mérites pas ton rang de Saint ! Si tu avais un tant soit peu de fierté tu te donnerais la mort ! »
Comme lors de l’échec précédent de Troïlos, l’apparence illusoire d’Apodis disparaît pour laisser dans ce décors trompeur son corps meurtri.
_ « Misérable Troïlos ! Tu ne vaux pas mieux que mon père de croire pouvoir me pousser au suicide en jouant sur mes culpabilités ! Il y a bien longtemps que j’ai su les surmonter ! Et là où tu as commis une erreur, c’est de penser que j’étais encore sous l’influence malsaine de mon père ! Mais sache que c’est que c’est avec plaisir que je vais mettre fin à ta vie en te frappant sous son apparence. »
Sans même invoquer de technique, Apodis loge son poing en plein flanc, sous le c½ur de Troïlos.
 
Autour des deux combattants, le coliseum reprend forme et expose des Olympiens médusés.
Dans les loges d’honneur, Aphrodite est atterrée. Elle tremble à l’idée de se retourner à nouveau en direction d’Apollon.
Zeus, lui, grimace de colère. D’abord fasciné par ce combat, l’issu l’oblige à un constat : « Félicitations. Après qu’il ait atteint l’éveil en poussant son cosmos à l’infini, ton Ange lui a permis d’atteindre l’illumination, en faisant de son âme un esprit combatif indéfectible. »
D’un violent coup de poing qui fracasse son accoudoir, Héphaïstos propose : « Ô Seigneur Zeus, laissez-moi mettre fin à cette mascarade.
_ Qu’ai-je fais par le passé, demande alors Zeus ? Pour m’élever à mon rang, je me suis éveillé et mon esprit s’est illuminé. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune frontière infranchissable entre cet homme et nous. L’éliminer reviendrait à nier ma propre histoire ! »
Absolument hystérique, perdant son calme Olympien, Hestia se lève : « Mais enfin… »
Un gigantesque éclair s’abat en plein milieu de l’arène et enlève Apodis.
Ce geste de colère de Zeus interrompt la déesse : « Le nies-tu ?! »
Hestia baisse la tête. Tous les autres dieux, excepté Apollon, l’imitent.

Face à la colère impériale, les spectateurs abandonnent l’arène traversée par d’innombrables éclairs laissant croire que le dieu des dieux a anéanti d’un coup Apodis et ainsi exaucé leurs prières.

De longues minutes de silences suivent.
Seuls les puissantes entités attendent les explications de Zeus.
Celles-ci viennent alors qu’il tourne le dos aux siens, après que le tonnerre laisse place à la pluie.
Resté seul à agoniser de ses blessures, Troïlos implose.
Un déluge suit les premières gouttes. Il lave l’arène de tout le sang perdu par le Grec, inonde les travées désertées, se regroupe en flaques, puis mares. Elles se déversent dans le vide au-dessus duquel est suspendue l’arène. Vide sans fin, sauf conduit vers l’Hyperdimension.

A l’abri dans les loges d’honneur, Apollon, fièrement installé dans son trône ne bouge pas.
Il écoute son père sans esquisser la moindre réaction.
_ « La prison de l’Olympe est le seul refuge pour ces êtres qui s’opposent à nous et que nous refusons de reconnaître. Je l’y ai renvoyé, emprisonné de mon sceau. J’ai créé les hommes et ils récompensent mon amour en me défiant. Je ne permettrai jamais que cela se propage. Cependant, le garder en vie est le meilleur moyen de nous rappeler que les sous-estimer peut s’avérer dangereux. »
Pour conclure, la prunelle de ses yeux laisse place à la foudre qui change son corps en éclairs. Ceux-ci prennent la forme d’un aigle qui repart en direction du Mont Olympe.

Tour à tour, Aphrodite, Artémis, Déméter et Hermès imitent Zeus et regagnent leurs temples.

Dans le coliseum, seuls les conspirateurs sont restés dans la tribune d’honneur à observer les dernières gouttent tomber du ciel pour se perdre plus bas.
Tapis dans l’ombre en attendant leur dieu, Helénê et Roloi patientent calmement, refroidis par les déclarations de Zeus.
Héphaïstos, lui, s’inquiète de la décision de Zeus : « Étrange qu’il veuille garder cet humain en vie. »
Les phrases courtes du meneur des conjurés ponctue son calme impérial : « C’est fâcheux en effet. Cela prouve qu’il tient encore les humains en estime. »
Hestia s’en indigne : « Si ce que tu dis est vrai, Apollon, ce serait une insulte de Zeus vis-à-vis de nous !
_ Je dirai plutôt qu’il s’agit d’une punition. Si les Anges d’Aphrodite avaient correctement fait leur travail tout aurait été différent. Zeus aurait compris que les hommes sont insultants et n’inspirent aucun respect.
_ Certes mais Helénê aurait pu le tuer. Il n’avait pas à le protéger. »
La ténébreuse Héra corrige : « Au contraire. Cela a permis à Zeus de mettre en défaut les dieux qui veulent à tout prix reprendre la Terre à Athéna. En valorisant les actes de cet homme, il espère prouver que ceux-ci peuvent être dignes d’intérêt, comme veut le faire croire Athéna.
_ Exactement, ponctue Apollon. Lorsque Athéna provoquera sa colère, cet homme sera ici la représentation de ma chère s½ur. Il en paiera les conséquences.
_ Athéna parviendra-t-elle au moins à perdre la confiance de Zeus, s’inquiète Hestia ?
_ Elle y parviendra. N’ait crainte. Nous avons encore beaucoup de cartes à jouer. Et notre plus beau jeu est sur Terre, assure Apollon. »
En disant cela, il regarde avec détermination Helénê, responsable en tant que Ksénia de toute sa machination auprès des dieux sur Terre.

A plusieurs kilomètres de là, étendu sur le dos, respirant difficilement en raison de la douleur et de l’effort que cela nécessite pour lui, Apodis marmonne : « Et maintenant, que vont-ils faire de moi ? »
En dehors de la tour où il est retenu prisonnier, Déméter se maintient debout au-dessus du vide. Toujours aussi peu vêtue, ses formes envieuses fort exposées, la déesse aux cheveux noirs de jais, approche sa main en direction du rideau de lumière qui entoure désormais la prison. Aussitôt, quelques grésillements hostiles annoncent une probable décharge du cosmos de Zeus : « L’amour de Zeus pour les hommes émousse sa colère. C’est son amour sans limite qui a rendu les hommes forts. Et aujourd’hui, manipulé par les discours des siens, il veut leur faire payer leur insolence. Tu n’es qu’un exemple.
_ Je vois. Quoi qu’il arrive, même si je parviens à me rétablir, je suis voué à finir mes jours ici.
_ De plus, le cosmos de Zeus m’empêche de te maintenir en vie comme je le faisais jusqu’ici. Je crois en l’homme. Mais je ne peux agir pour lui. Quand le moment sera venu, d’autres hommes seront là pour t’aider. En attendant, persévère, poursuit ton entraînement. Car les Anges d’Aphrodite ne sont rien face à ceux d’autres dieux. »
La silhouette de la divinité s’évapore dans l’atmosphère, tandis qu’Apodis bombe son torse en prenant une profonde aspiration : « J’espère qu’à ce moment là, Athéna sera auprès de moi. Car aujourd’hui, c’est en son nom que j’ai surmonté tous les obstacles. »


Sur Terre, vers laquelle Apodis envoie ses prières, les événements s’accélèrent.
Le Grand Pope reçoit tour à tour, les nouvelles des défaites des Saints envoyés punir les différents rebelles.
L’idée de faire appel aux Saints d’or pour clore la menace japonaise, trotte de plus en plus dans sa tête…

Author Topic: Chapitre 63  (Read 2772 times)

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