Dans le monde contemporain, la fin du mois d’août, annonce le plus souvent la fin d’une période estivale, où repos et loisirs étaient les maîtres mots.
Au Sanctuaire, la fin du mois d’août, et plus particulièrement le 1er septembre, avait également son importance. Il s’agissait de la date à laquelle Athéna s’était réincarnée sur Terre.
Un jour où, comme chaque fois par an, les cloches des forums retentissent du même nombre de coups qu’Athéna a passé d’années sur cette planète depuis son retour.
En ce jour particulier, les temples d’Athéna des villages du domaine servent de lieu de fête. Habituellement lieu de culte, les temples se remplissent en cette journée car chaque habitant, homme ou femme, enfant ou vieillard, vient chercher une bourse de cinq sacres. Celle-ci est offerte par le sénat, composés des plus riches villageois et des prêtres les plus respectés du domaine sacré.
Ce 1er septembre 1985, jour des douze ans d’Athéna, j’étais loin de ma terre… Et mon c½ur commençait à douter sérieusement…
Chapitre 32 - Un anniversaire et des doutes
En Grèce, au Sanctuaire :
1er septembre 1985.
Dans la salle du trône, le Grand Pope est assis, la tête en appui sur son bras dressé contre l’accoudoir de son siège.
Il écoute à peine Gigas, son général des armées qui lui lit une lettre arrivée tout droit de Jamir :
Gigas - " « … et me vois contraint de répondre par la négative à la missive qui m’a été confiée par vos soins. » Et c’est signé : Mû du Bélier ! "
Gigas chiffonne la feuille de papier en pestant de rage. Néanmoins, son geste n’attire guère davantage l’attention de son souverain.
Le pontife reste plongé dans ses pensées…
Flashback
31 août 1973 - Il faisait encore chaud en cette dernière nuit d’août. L’obscurité était tombée depuis peu et, dans la troisième maison du zodiaque, les ténèbres s’insinuaient.
Le maître des lieux baignait dans la fosse d’un mètre sur un mètre située au c½ur de chaque chambre des chevaliers d’or. A l’intérieur, il se prélassait dans l’eau fraiche qu’il avait récolté dans des tonneaux à Honkios.
Les bras sortis de l’onde et la tête couchée en arrière, sur le sol marbré de sa chambrette, Saga cogitait énormément après les actes passés de ces derniers jours.
Le meurtre du jeune frère du Pope, Arlès, il y quelques semaines, le rongeait si fort, qu’il pensait ne plus pouvoir le cacher longtemps à Shion.
En effet, plus tôt dans la journée, à l’aube, le Grand Pope convoqua ses deux plus puissants Saints d’or, Aiolos et Saga pour leur apprendre une grande nouvelle : Athéna allait enfin voir le jour de façon imminente.
Si bien qu’une nouvelle administration, se devait de prendre la relève pour assurer la défense de la déesse dans les meilleures conditions qui soient. C’est pour cela que Shion choisit de nommer Aiolos, comme son successeur pour sa bonté, son intelligence et son courage.
Avant que cela ne soit officiel, il demanda à Saga d’assister son camarade dans sa tâche et de se consacrer, lui aussi, au Sanctuaire, ce que le Saint des Gémeaux accepta bien évidemment.
Pourtant, depuis cette terrible matinée, Saga s’était enfermé dans son temple pour y broyer du noir.
Son plan avait failli. Il jouait les intendants du Pope en attendant la mort de celui-ci. Ainsi, il espérait que Shion n’ait pas le temps d’annoncer publiquement sa succession. Il aurait pris sa place en ce faisant passer pour Arlès. Désormais, il était face à un dilemme de taille.
Il maintenait sans cesse sa ranc½ur et espérait qu’un moment de détente dans ce fluide agréable lui permettrait d’oublier.
Toutefois, il restait interrogatif quand aux raisons du Grand Pope dans son choix. « Shion a-t-il réellement percé mon secret ? Je dois en avoir le c½ur net ! », décida-t-il.
Après s’être rendu en tenue de chevalier dans les appartements du Pope, où il n’y avait personne, il comprit que par cette magnifique nuit étoilée le représentant d’Athéna ne pouvait se trouver qu’à Star Hill.
Star Hill, lieu où les générations de Grands Popes ont toujours vu l’avenir de la Terre dans les étoiles, là où les chevaliers ne peuvent pénétrer, on dit qu’il s’agit de l’endroit de la Terre le plus proche des cieux.
En haut de cette montagne, dominée en son sommet par un temple antique, le rescapé de la Guerre Sainte de 1743 observait les astres. Une légère brise balayait son épaisse soutane blanche :
Grand Pope - " Hum… En plus de la disparition de mon frère Arlès, je suis de plus en plus inquiet. L’étoile polaire, normalement stable à cette époque de l’année, est légèrement inclinée... A l’origine, l’étoile polaire céleste, doit être décalée par rapport à l’axe polaire terrestre. Pourtant son angle se rapproche du degré zéro. Je me souviens que le Grand Pope précédent avait dit qu’avant la Guerre Sainte l’étoile polaire avait bougé. Lorsque l’angle sera de zéro, alors le sceau d’Athéna se brisera, le mal sera libéré et une nouvelle guerre commencera… "
Une bourrasque vint alerter le Grand Pope d’une présence proche de lui, mettant ainsi tous ses sens en alerte.
Ses yeux, bicentenaires et fatigués, distinguaient malgré tout la lumière qui se dégageait de l’armure d’or des Gémeaux :
Grand Pope - " Saga… Comment es-tu parvenu jusqu’ici, en ce lieu réputé difficile d’accès même pour un chevalier d’or ? "
Saga dégagea son opulente chevelure en retirant son heaume qui ombrageait son visage. Il s’agenouilla et déclara avec suffisance :
Saga - " Auriez-vous oublié qu’on me compare à un dieu ? C’est à ce titre que je voulais savoir pourquoi ne m’avez-vous pas désigné comme votre successeur, moi qui vous ai toujours été fidèle ? Vous avez prétendu qu’Aiolos rassemblait la bonté, l’intelligence et le courage, ne sont-ce pas des vertus qui sont miennes également ? "
Saga commençait à trembler, tous les muscles de son corps se contractaient, comme s’il voulait contenir quelque chose qui le rongeait.
Le Pope ne s’en aperçu pas tout de suite, il tourna le dos et fixa la constellation des Gémeaux :
Grand Pope - " Mon expérience de Grand Pope et ma fréquentation ces derniers siècles, des ennemis et des alliés, des soldats ou des esclaves, m’a permis d’approfondir mes perceptions de l’esprit humain. En toute sincérité Saga… Je ressens au fond de toi une terrible chose, dont je ne connais pas la nature. Je sais que tous te respectent comme un dieu et que ton comportement est d’une pureté sans égale mais… Mais je ne peux m’empêcher de penser que ton âme abrite… "
Le patriarche remarqua subitement que les étoiles de la constellation des Gémeaux prirent une teinte inhabituelle. Le tonnerre se mit à gronder.
Il se retourna vers son Saint et constata avec effroi la teinte grisonnante de ses cheveux :
Grand Pope - " Saga… Quelque chose ne va pas ? Saga… "
L’horreur tétanisa le vétéran lorsque le chevalier d’or releva ses yeux devenus rouges sur lui.
Ayant perdu ses reflexes de soldat et, loin de s’imaginer un tel acte, il ne put éviter l’atrocité et la violence de Saga qui logea son poing dans son c½ur.
Sentant ses forces le quitter, Shion essaya de lever sa main, pour caresser le visage de son ancien protecteur :
Grand Pope - " Mon pauvre garçon… Saga… Qu’es-tu devenu ? "
Soucieux de ne laisser aucune faille à son acte, Saga se méfia jusqu’au bout de ce mourant semblant inoffensif. Il plaqua ses deux mains contre sa poitrine et invoqua toute sa cosmo énergie :
Saga - " Galaxian Explosion ! "
Le casque de Shion s’arracha sous le choc de l’Explosion Galactique, le corps du malheureux retomba aux pieds de l’autel qui domine le temple à proximité.
Tourné sur le dos, Shion clignait des yeux pour chercher sa constellation, celle du Bélier. Son visage ridé était arraché par l’impact et son corps couvert de plaies. Ses longs cheveux verts étaient étalés sur le sol rocailleux et sa soutane toute déchirée fut retirée par Saga qui ne se souciait plus de son adversaire.
Pendant que le chevalier des Gémeaux ajustait la robe trouée et le casque du souverain, Shion rendait son dernier souffle en souriant :
Shion - " Oui… Mes étoiles… Celles du Bélier… Merci pour ce message… Merci de m’assurer que de jeunes chevaliers parviendront à déjouer les maléfices de Saga… "
Plus loin, Saga envisageait déjà la suite des évènements :
Saga - " A partir de maintenant, je suis Arlès et Shion, l’intendant et le Grand Pope. Je vais diriger le monde. Le Grand Pope annonçait depuis longtemps sa succession. Je n’aurai qu’à me faire passer pour lui quelques années, avant qu’Arlès informe le Sanctuaire de la mort naturelle du chef de ce domaine. N’ayant pas eu le temps d’ordonner un nouveau Pope, Arlès sera alors désigné comme successeur spontané, faisant ainsi l’unanimité auprès du peuple. Ha ha ha ha… "
Derrière Saga, de grands éclairs traversèrent le ciel puis furent précédés d’un violent orage.
L’averse ramena Saga à la raison quelques instants. Il en profita pour déposer le corps de Shion sur l’autel :
Saga - " Grand Pope… Désormais il est de mon devoir d’apprendre à lire les étoiles. Lors de ma prochaine visite, je viendrais vous porter une robe digne de ce nom, pour que jamais votre dépouille ne paraisse souillée. "
Flashback
Le raclement de gorge de Gigas sort Saga de ses pensées.
Le vieillard prosterné devant le Grand Pope revient sur le refus de Mû :
Gigas - " Hum… Hum… Majesté, il me semble que le chevalier d’or du Bélier renie toujours votre pouvoir. Si a cela on ajoute qu’à nouveau des doutes sur votre gestion des Guerres Saintes ces dernières années sont réapparus… "
Une telle annonce sort Saga de ses gonds. Il bondit de son siège et gronde :
Grand Pope - " Que dis-tu !? "
Gigas bafouille tant la peur lui ronge l’estomac :
Gigas - " Et bien d’après les soldats faisant partie de notre garde spéciale et infiltrés un peu partout dans le Sanctuaire et dans le monde, des Saints reviennent sur leur façon de voir les agissements que vous ordonnez au nom d’Athéna. Plus particulièrement ceux situés sur Yíaros. "
Le céleste gouverneur descend les marches qui mènent jusqu’à son trône et passe à côté de son général :
Grand Pope - " Si à cela on rajoute le fait que l’armure d’or du Sagittaire de ce traitre d’Aiolos est toujours dans la nature, on peut dire que de sérieux problèmes commencent à se poser. "
Le chevalier d’or avance jusqu’au balcon qui surplombe le domaine et s’accroche à la rambarde :
Grand Pope - " Gigas ! "
Le borgne à la barbe grise suit son seigneur à la trace et se courbe dès qu’il entend son nom :
Gigas - " Oui votre Grandeur ? "
Grand Pope - " Il est temps d’accroitre les recherches concernant l’armure d’or du Sagittaire. En marge de cela, fait doubler la solde des Saints que l’on dit méfiants à mon égard. Précise que cela vient d’Athéna qui souhaite les récompenser pour leurs actes de bravoure et leur fidélité envers le Grand Pope. "
Gigas recule aussitôt en direction de la sortie en se contentant d’approuver :
Gigas - " Très bonne idée votre Eminence, je suis convaincu qu’une telle attention ne les laissera pas insensibles. "
Puis l’homme à la soutane violette chargée d’une cape rouge sang quitte la pièce, laissant Saga briser le garde-corps en béton armée tant la situation l’inquiète :
Grand Pope - " Aujourd’hui, Athéna fête ses douze ans, comme des millions d’adolescentes partout dans le monde. Pourtant, bientôt, elle réalisera qui elle est réellement. Si elle dispose d’une armure d’or et qu’elle venait à établir une coalition avec la captive Hébé, cela pourrait me causer beaucoup de tort. D’autant plus, que les chevaliers d’or du Bélier et de la Balance refusent toujours de répondre favorablement à mes appels. Malgré tout l’amour que je porte à Ambroisie je n’ai plus le choix. Sa captivité n’est plus suffisante, d’autant plus que les Saints qui veillent dessus peuvent émettre des doutes quand à mes intentions. "
Sur l’île d’Yíaros :
L’alcool coule à flot dans les garnisons athéniennes. Loin des leurs, les soldats fêtent comme ils peuvent le jour de la naissance de leur déesse.
Entre gardes qui titubent, ceux qui s’égosillent à chanter et ceux qui se provoquent, les villageois hébéïens préfèrent rester cloitrer à leur domicile.
A proximité du temple de Héraclès, désormais siège de l’armée athénienne, les hommes doués d’un quelque talent musical jouent quelques morceaux à l’harmonica.
Parmi eux, le svelte Anikeï et la jolie Carina, dévêtus de leurs Cloths, dansent avec leurs troupes dans des éclats de rire.
Lena, la compagne du Crystal Saint, préfère rester assise dans les jardins, à observer ces effusions de joie. Elle recoiffe ses longs cheveux noirs qui couvrent son masque de femme chevalier à hauteur du front et qui descendent sous la forme de fines mèches sur ses épaules.
Les rayons du soleil reflètent sur sa protection violette au niveau des épaules et des mains, et noire cristallin aux avant-bras, au buste et aux genoux.
Debout, derrière elle, les bras croisés, Taishi couvert de sa Cloth de bronze du Toucan qui cuirasse son corps d’un plastron et d’une ceinture rouge, de jambières et d’avant-bras cobalts, grimace. Ses petits yeux noirs semblent dénigrer cette manifestation.
Ce japonais, orphelin et ancien partenaire de Jabu, déclare de sa voix roque :
Taishi - " Comment peut-on ricaner ainsi, alors que Hébé reste cloitrée dans son palais à comploter ? "
Ses épais cheveux couvrent son front et tombent bas dans sa nuque. Ses pattes qui descendent jusqu’à la base de sa mâchoire, son menton carré et son nez épaté de boxeur lui donnent un semblant de maturité que les jeunes hommes de seize ans n’ont pas à l’accoutumé.
Lena préfère rester prudente :
Lena - " L’armée hébéïenne est réduite à néant. Es-tu vraiment sur de pouvoir avancer qu’elle prépare une rébellion ? "
Taishi - " Elle a investi le Sanctuaire et fait tuer femmes et enfants. Je ne saurai jamais me montrer trop prudent vis-à-vis de cette déesse démoniaque. "
Lena, en se relevant, permet à Taishi d’admirer le reste de son allure. Son ventre cesse d’être protégé à hauteur des hanches, laissant sortir de sous la Cloth de la Boussole un tissu violet servant de jupe. Ses douces et grandes jambes sont tout de même couvertes d’un cuissard et ses pieds de petite taille, sont protégés par des escarpins.
Lena - " Je vais rassembler quelques hommes pour faire une ronde dans le domaine. Que dis-tu d’organiser le rationnement des hébéïens aujourd’hui ? "
Taishi - " N’est-ce pas au tour d’Apodis ? "
Lena annonce d’un ton suffisant :
Lena - " Il doit certainement s’entraîner avec l’Alcide des Juments de Diomède comme ces derniers jours ! "
Taishi rétorque d’un ton méprisant :
Taishi - " Alors il s’abaisse au même niveau que Philémon du Lièvre qui ne prospecte plus sans la présence de l’Alcide de la Biche de Cérynie ! "
Médisants, les deux Saints de bronze abandonnent le lieu des festivités…
A l’est, dans la forêt, d’immenses arbres sont abattus et s’échouent sur le sol.
Au beau milieu d’eux, un homme vêtu d’une tunique turquoise qui s’arrête à hauteur des cuisses et ceinturés d’une lanière de cuir, gesticule pour éviter les chutes des troncs.
Son pantalon couleur sable, descend jusque dans ses spartiates, ficelées autour de ses tibias.
L’habit s’accommode à merveille à ses cheveux mi-longs, tant le bleu est similaire.
A l’inverse, ses yeux couleur sang apportent à la fois compassion et crainte à son adversaire vêtue d’une très courte robe grenat et d’un short de la même couleur.
Les deux rivaux s’engagent dans un corps à corps prononcé, dans lequel leurs peaux brunies par la longue période estivale qui s’achève subissent de violents heurts.
Finalement, les poings bardés de bandelettes de papiers qui remontent jusqu’aux coudes du jeune homme atteignent le masque de la jeune femme qui dégage une allure très psychotique. Elle est repoussée en arrière. Le choc décoiffe les cheveux taupe qui viennent en de nombreuses pointes dans le dos et sur le front de Juventas.
Grande, mince, à l’allure très féminine, la veuve d’Iphiclès cesse alors d’adopter une pose de combat et prononce d’une voix très douce :
Juventas - " Tu as gagné ! J’arrête ! "
Apodis abandonne aussitôt sa position offensive et, sûr de lui, ne voit pas venir le coup à une vitesse proche de celle de la lumière de l’Alcide qui se ravise.
Il est plaqué au sol, après avoir encaissé le coude de l’autochtone en plein nez.
Juventas - " Tu viens d’oublier une règle de base : il faut toujours rester sur ses gardes ! "
Apodis reste allongé, jambes et bras écartés en grognant :
Apodis - " Tu y es peut-être allé un peu fort là ! Non ? C’est malin… "
Sans difficulté et sans prendre appui avec ses mains sur le sol, il relève son buste et expose son nez gonflé duquel s’écoule beaucoup de sang :
Apodis - " … je vais avoir l’air de quoi moi maintenant ? "
Juventas pose sa main sur le visage masculin et vicieux de son masque pour essayer d’étouffer son fou-rire. Bon joueur, Apodis rit à son tour.
Juventas lui tend la main pour l’aider à se remettre debout alors qu’il joint ses deux mains devant l’hémorragie en jetant quelques regards noirs entre deux rires nerveux envers elle.
Ils approchent le bras d’eau qui relie le détroit du nord/est à la citée par lequel Apodis et ses hommes ont investi l’île il y a bientôt six mois. Là, elle lui nettoie le visage.
Juventas s’applique à caresser délicatement la colonne nasale de l’occupant d’Yíaros.
D’abord anodin, son geste finit par l’embarrasser lorsque Apodis lui frôle les doigts en prenant le relais. Ils restent de longues minutes immobiles sans se quitter du regard, ne sentant qu’un profond malaise mêlant ranc½ur et passion.
Finalement, c’est Apodis qui recule le premier en fuyant la situation inconfortable d’une boutade :
Apodis - " Si mes hommes me questionnent, je n’aurai qu’à dire qu’un caillou résultant d’un bris de roche m’a écrasé le visage ! "
Juventas - " Oui, il serait plus judicieux que tu avances ce genre d’excuse plutôt qu’avouer qu’une femme chevalier a été capable de te faire cela ! "
Apodis est amusé et propose de rentrer :
Apodis - " Le temps passe, je suis de corvée pour la distribution des vivres. Nous devrions regagner la citée. "
Juventas hésite un instant :
Juventas - " Revenir à deux, comme nous le faisons trop régulièrement, poussent les tiens comme les miens à l’incompréhension. Il est encore trop tôt je pense pour afficher une envie de réconciliation entre Saints et Alcides, les esprits sont encore trop revanchards dans les deux camps. "
Apodis - " Tu as sans doute raison. Pars devant dans ce cas. Nous nous reverrons bientôt. "
Juventas entame le chemin du retour :
Juventas - " Je l’espère. "
Apodis reste au bord de l’eau à voir s’éloigner Juventas. Son sourire s’est atténué et son visage s’est fermé.
Son esprit est appelé par le souvenir de Mujakis et Sperarus, sa mère et son fils. Ses yeux se perdent, dans le cours d’eau qu’il a emprunté il y a six mois.
Rongé par la culpabilité du fait de son rapprochement avec ceux qui ont ôtés la vie aux siens, Apodis choisit de remonter le fleuve pour rejoindre la mer Egée à la sortie de l’île, très interrogatif.
Il est vrai que ses questions sont toutes légitimes : « Comment un peuple aussi docile a-t-il pu causer une telle barbarie au Sanctuaire ? Pourquoi est-ce que je ressens chaque jour le cosmos bienfaisant de Hébé donner du baume au c½ur aussi bien aux siens, qu’aux occupants de l’île alors que jamais je n’ai senti celui d’Athéna ? Et Circinus que j’ai abattu froidement, tandis qu’il espérait m’apporter les preuves d’une machination ? Sans oublier Yakamoz de la Grue qui préféra se ranger dans les rangs de Hébé puisqu’elle ne retrouvait plus en la politique du Sanctuaire les idéaux prônés par la grande Athéna ? Enfin, quel intérêt à rester sur une île, où la divinité captive a accepté sans broncher de signer un traité de paix en donnant les pleins pouvoirs du Sanctuaire contre la vie sauve de son peuple ? Une décision aussi réfléchie, est-elle vraiment celle d’une divinité sanguinaire assoiffée de pouvoir ? »
Ces doutes s’additionnent à ceux qu’Apodis éprouvait avant la Guerre Sainte contre Hébé et qui ressurgissent depuis plusieurs semaines. « Ma rage m’a-t-elle fait oublier qu’auparavant les actes du Pope ne me semblaient pas tous légitimes ? »
Soudain, à l’approche de la plage, l’attention du descendant de Tenma de Pégase est retenue par quelques bouts de métaux qu’il ramasse :
Apodis - " Qu’est ce que… ? On dirait des morceaux des tenus que portent nos soldats ! "
La promenade du chevalier de l’Oiseau de Paradis se transforme vite en démarche d’investigation. A mesure que sa route se poursuit, il découvre une lance athénienne et une longue trainée de sang qui aboutie à la sortie de la forêt, sur la plage. Là, dans le sable un homme à plat ventre ne bouge plus que quelques doigts.
Apodis coure jusqu’au ressortissant athénien. Il le retourne et le prend dans ses bras. L’homme est déshydraté, pâle et couvert d’ecchymoses :
Apodis - " Qui es-tu ? Ton nom soldat ! "
Il a beau avoir les yeux ouverts, l’homme semble ne plus voir quoi que ce soit. Il reconnait seulement le son de la voix d’un de ses sergents :
Soldat - " Seigneur Apodis ? "
Apodis - " Pourquoi es-tu dans cet état ? Une révolte hébéïenne se prépare-t-elle ? "
Le soldat sourit en crachant du sang :
Soldat - " N… Non… Jamais de la vie… "
Il est prit d’une forte quinte de toux qui lui fait élargir ses plaies et perdre davantage de sang :
Soldat - " Ce sont les nôtres qui m’ont fait ça. "
Apodis - " Pourquoi ? Aucun sergent n’a été informé de la mise à mort d’un soldat. Et encore moins dans d’aussi atroces conditions. Qu’as-tu fais ? "
Soldat - " J’ai simplement culpabilisé… "
Partie 1 : FIN
Au Sanctuaire, la fin du mois d’août, et plus particulièrement le 1er septembre, avait également son importance. Il s’agissait de la date à laquelle Athéna s’était réincarnée sur Terre.
Un jour où, comme chaque fois par an, les cloches des forums retentissent du même nombre de coups qu’Athéna a passé d’années sur cette planète depuis son retour.
En ce jour particulier, les temples d’Athéna des villages du domaine servent de lieu de fête. Habituellement lieu de culte, les temples se remplissent en cette journée car chaque habitant, homme ou femme, enfant ou vieillard, vient chercher une bourse de cinq sacres. Celle-ci est offerte par le sénat, composés des plus riches villageois et des prêtres les plus respectés du domaine sacré.
Ce 1er septembre 1985, jour des douze ans d’Athéna, j’étais loin de ma terre… Et mon c½ur commençait à douter sérieusement…
Chapitre 32 - Un anniversaire et des doutes
En Grèce, au Sanctuaire :
1er septembre 1985.
Dans la salle du trône, le Grand Pope est assis, la tête en appui sur son bras dressé contre l’accoudoir de son siège.
Il écoute à peine Gigas, son général des armées qui lui lit une lettre arrivée tout droit de Jamir :
Gigas - " « … et me vois contraint de répondre par la négative à la missive qui m’a été confiée par vos soins. » Et c’est signé : Mû du Bélier ! "
Gigas chiffonne la feuille de papier en pestant de rage. Néanmoins, son geste n’attire guère davantage l’attention de son souverain.
Le pontife reste plongé dans ses pensées…
Flashback
31 août 1973 - Il faisait encore chaud en cette dernière nuit d’août. L’obscurité était tombée depuis peu et, dans la troisième maison du zodiaque, les ténèbres s’insinuaient.
Le maître des lieux baignait dans la fosse d’un mètre sur un mètre située au c½ur de chaque chambre des chevaliers d’or. A l’intérieur, il se prélassait dans l’eau fraiche qu’il avait récolté dans des tonneaux à Honkios.
Les bras sortis de l’onde et la tête couchée en arrière, sur le sol marbré de sa chambrette, Saga cogitait énormément après les actes passés de ces derniers jours.
Le meurtre du jeune frère du Pope, Arlès, il y quelques semaines, le rongeait si fort, qu’il pensait ne plus pouvoir le cacher longtemps à Shion.
En effet, plus tôt dans la journée, à l’aube, le Grand Pope convoqua ses deux plus puissants Saints d’or, Aiolos et Saga pour leur apprendre une grande nouvelle : Athéna allait enfin voir le jour de façon imminente.
Si bien qu’une nouvelle administration, se devait de prendre la relève pour assurer la défense de la déesse dans les meilleures conditions qui soient. C’est pour cela que Shion choisit de nommer Aiolos, comme son successeur pour sa bonté, son intelligence et son courage.
Avant que cela ne soit officiel, il demanda à Saga d’assister son camarade dans sa tâche et de se consacrer, lui aussi, au Sanctuaire, ce que le Saint des Gémeaux accepta bien évidemment.
Pourtant, depuis cette terrible matinée, Saga s’était enfermé dans son temple pour y broyer du noir.
Son plan avait failli. Il jouait les intendants du Pope en attendant la mort de celui-ci. Ainsi, il espérait que Shion n’ait pas le temps d’annoncer publiquement sa succession. Il aurait pris sa place en ce faisant passer pour Arlès. Désormais, il était face à un dilemme de taille.
Il maintenait sans cesse sa ranc½ur et espérait qu’un moment de détente dans ce fluide agréable lui permettrait d’oublier.
Toutefois, il restait interrogatif quand aux raisons du Grand Pope dans son choix. « Shion a-t-il réellement percé mon secret ? Je dois en avoir le c½ur net ! », décida-t-il.
Après s’être rendu en tenue de chevalier dans les appartements du Pope, où il n’y avait personne, il comprit que par cette magnifique nuit étoilée le représentant d’Athéna ne pouvait se trouver qu’à Star Hill.
Star Hill, lieu où les générations de Grands Popes ont toujours vu l’avenir de la Terre dans les étoiles, là où les chevaliers ne peuvent pénétrer, on dit qu’il s’agit de l’endroit de la Terre le plus proche des cieux.
En haut de cette montagne, dominée en son sommet par un temple antique, le rescapé de la Guerre Sainte de 1743 observait les astres. Une légère brise balayait son épaisse soutane blanche :
Grand Pope - " Hum… En plus de la disparition de mon frère Arlès, je suis de plus en plus inquiet. L’étoile polaire, normalement stable à cette époque de l’année, est légèrement inclinée... A l’origine, l’étoile polaire céleste, doit être décalée par rapport à l’axe polaire terrestre. Pourtant son angle se rapproche du degré zéro. Je me souviens que le Grand Pope précédent avait dit qu’avant la Guerre Sainte l’étoile polaire avait bougé. Lorsque l’angle sera de zéro, alors le sceau d’Athéna se brisera, le mal sera libéré et une nouvelle guerre commencera… "
Une bourrasque vint alerter le Grand Pope d’une présence proche de lui, mettant ainsi tous ses sens en alerte.
Ses yeux, bicentenaires et fatigués, distinguaient malgré tout la lumière qui se dégageait de l’armure d’or des Gémeaux :
Grand Pope - " Saga… Comment es-tu parvenu jusqu’ici, en ce lieu réputé difficile d’accès même pour un chevalier d’or ? "
Saga dégagea son opulente chevelure en retirant son heaume qui ombrageait son visage. Il s’agenouilla et déclara avec suffisance :
Saga - " Auriez-vous oublié qu’on me compare à un dieu ? C’est à ce titre que je voulais savoir pourquoi ne m’avez-vous pas désigné comme votre successeur, moi qui vous ai toujours été fidèle ? Vous avez prétendu qu’Aiolos rassemblait la bonté, l’intelligence et le courage, ne sont-ce pas des vertus qui sont miennes également ? "
Saga commençait à trembler, tous les muscles de son corps se contractaient, comme s’il voulait contenir quelque chose qui le rongeait.
Le Pope ne s’en aperçu pas tout de suite, il tourna le dos et fixa la constellation des Gémeaux :
Grand Pope - " Mon expérience de Grand Pope et ma fréquentation ces derniers siècles, des ennemis et des alliés, des soldats ou des esclaves, m’a permis d’approfondir mes perceptions de l’esprit humain. En toute sincérité Saga… Je ressens au fond de toi une terrible chose, dont je ne connais pas la nature. Je sais que tous te respectent comme un dieu et que ton comportement est d’une pureté sans égale mais… Mais je ne peux m’empêcher de penser que ton âme abrite… "
Le patriarche remarqua subitement que les étoiles de la constellation des Gémeaux prirent une teinte inhabituelle. Le tonnerre se mit à gronder.
Il se retourna vers son Saint et constata avec effroi la teinte grisonnante de ses cheveux :
Grand Pope - " Saga… Quelque chose ne va pas ? Saga… "
L’horreur tétanisa le vétéran lorsque le chevalier d’or releva ses yeux devenus rouges sur lui.
Ayant perdu ses reflexes de soldat et, loin de s’imaginer un tel acte, il ne put éviter l’atrocité et la violence de Saga qui logea son poing dans son c½ur.
Sentant ses forces le quitter, Shion essaya de lever sa main, pour caresser le visage de son ancien protecteur :
Grand Pope - " Mon pauvre garçon… Saga… Qu’es-tu devenu ? "
Soucieux de ne laisser aucune faille à son acte, Saga se méfia jusqu’au bout de ce mourant semblant inoffensif. Il plaqua ses deux mains contre sa poitrine et invoqua toute sa cosmo énergie :
Saga - " Galaxian Explosion ! "
Le casque de Shion s’arracha sous le choc de l’Explosion Galactique, le corps du malheureux retomba aux pieds de l’autel qui domine le temple à proximité.
Tourné sur le dos, Shion clignait des yeux pour chercher sa constellation, celle du Bélier. Son visage ridé était arraché par l’impact et son corps couvert de plaies. Ses longs cheveux verts étaient étalés sur le sol rocailleux et sa soutane toute déchirée fut retirée par Saga qui ne se souciait plus de son adversaire.
Pendant que le chevalier des Gémeaux ajustait la robe trouée et le casque du souverain, Shion rendait son dernier souffle en souriant :
Shion - " Oui… Mes étoiles… Celles du Bélier… Merci pour ce message… Merci de m’assurer que de jeunes chevaliers parviendront à déjouer les maléfices de Saga… "
Plus loin, Saga envisageait déjà la suite des évènements :
Saga - " A partir de maintenant, je suis Arlès et Shion, l’intendant et le Grand Pope. Je vais diriger le monde. Le Grand Pope annonçait depuis longtemps sa succession. Je n’aurai qu’à me faire passer pour lui quelques années, avant qu’Arlès informe le Sanctuaire de la mort naturelle du chef de ce domaine. N’ayant pas eu le temps d’ordonner un nouveau Pope, Arlès sera alors désigné comme successeur spontané, faisant ainsi l’unanimité auprès du peuple. Ha ha ha ha… "
Derrière Saga, de grands éclairs traversèrent le ciel puis furent précédés d’un violent orage.
L’averse ramena Saga à la raison quelques instants. Il en profita pour déposer le corps de Shion sur l’autel :
Saga - " Grand Pope… Désormais il est de mon devoir d’apprendre à lire les étoiles. Lors de ma prochaine visite, je viendrais vous porter une robe digne de ce nom, pour que jamais votre dépouille ne paraisse souillée. "
Flashback
Le raclement de gorge de Gigas sort Saga de ses pensées.
Le vieillard prosterné devant le Grand Pope revient sur le refus de Mû :
Gigas - " Hum… Hum… Majesté, il me semble que le chevalier d’or du Bélier renie toujours votre pouvoir. Si a cela on ajoute qu’à nouveau des doutes sur votre gestion des Guerres Saintes ces dernières années sont réapparus… "
Une telle annonce sort Saga de ses gonds. Il bondit de son siège et gronde :
Grand Pope - " Que dis-tu !? "
Gigas bafouille tant la peur lui ronge l’estomac :
Gigas - " Et bien d’après les soldats faisant partie de notre garde spéciale et infiltrés un peu partout dans le Sanctuaire et dans le monde, des Saints reviennent sur leur façon de voir les agissements que vous ordonnez au nom d’Athéna. Plus particulièrement ceux situés sur Yíaros. "
Le céleste gouverneur descend les marches qui mènent jusqu’à son trône et passe à côté de son général :
Grand Pope - " Si à cela on rajoute le fait que l’armure d’or du Sagittaire de ce traitre d’Aiolos est toujours dans la nature, on peut dire que de sérieux problèmes commencent à se poser. "
Le chevalier d’or avance jusqu’au balcon qui surplombe le domaine et s’accroche à la rambarde :
Grand Pope - " Gigas ! "
Le borgne à la barbe grise suit son seigneur à la trace et se courbe dès qu’il entend son nom :
Gigas - " Oui votre Grandeur ? "
Grand Pope - " Il est temps d’accroitre les recherches concernant l’armure d’or du Sagittaire. En marge de cela, fait doubler la solde des Saints que l’on dit méfiants à mon égard. Précise que cela vient d’Athéna qui souhaite les récompenser pour leurs actes de bravoure et leur fidélité envers le Grand Pope. "
Gigas recule aussitôt en direction de la sortie en se contentant d’approuver :
Gigas - " Très bonne idée votre Eminence, je suis convaincu qu’une telle attention ne les laissera pas insensibles. "
Puis l’homme à la soutane violette chargée d’une cape rouge sang quitte la pièce, laissant Saga briser le garde-corps en béton armée tant la situation l’inquiète :
Grand Pope - " Aujourd’hui, Athéna fête ses douze ans, comme des millions d’adolescentes partout dans le monde. Pourtant, bientôt, elle réalisera qui elle est réellement. Si elle dispose d’une armure d’or et qu’elle venait à établir une coalition avec la captive Hébé, cela pourrait me causer beaucoup de tort. D’autant plus, que les chevaliers d’or du Bélier et de la Balance refusent toujours de répondre favorablement à mes appels. Malgré tout l’amour que je porte à Ambroisie je n’ai plus le choix. Sa captivité n’est plus suffisante, d’autant plus que les Saints qui veillent dessus peuvent émettre des doutes quand à mes intentions. "
Sur l’île d’Yíaros :
L’alcool coule à flot dans les garnisons athéniennes. Loin des leurs, les soldats fêtent comme ils peuvent le jour de la naissance de leur déesse.
Entre gardes qui titubent, ceux qui s’égosillent à chanter et ceux qui se provoquent, les villageois hébéïens préfèrent rester cloitrer à leur domicile.
A proximité du temple de Héraclès, désormais siège de l’armée athénienne, les hommes doués d’un quelque talent musical jouent quelques morceaux à l’harmonica.
Parmi eux, le svelte Anikeï et la jolie Carina, dévêtus de leurs Cloths, dansent avec leurs troupes dans des éclats de rire.
Lena, la compagne du Crystal Saint, préfère rester assise dans les jardins, à observer ces effusions de joie. Elle recoiffe ses longs cheveux noirs qui couvrent son masque de femme chevalier à hauteur du front et qui descendent sous la forme de fines mèches sur ses épaules.
Les rayons du soleil reflètent sur sa protection violette au niveau des épaules et des mains, et noire cristallin aux avant-bras, au buste et aux genoux.
Debout, derrière elle, les bras croisés, Taishi couvert de sa Cloth de bronze du Toucan qui cuirasse son corps d’un plastron et d’une ceinture rouge, de jambières et d’avant-bras cobalts, grimace. Ses petits yeux noirs semblent dénigrer cette manifestation.
Ce japonais, orphelin et ancien partenaire de Jabu, déclare de sa voix roque :
Taishi - " Comment peut-on ricaner ainsi, alors que Hébé reste cloitrée dans son palais à comploter ? "
Ses épais cheveux couvrent son front et tombent bas dans sa nuque. Ses pattes qui descendent jusqu’à la base de sa mâchoire, son menton carré et son nez épaté de boxeur lui donnent un semblant de maturité que les jeunes hommes de seize ans n’ont pas à l’accoutumé.
Lena préfère rester prudente :
Lena - " L’armée hébéïenne est réduite à néant. Es-tu vraiment sur de pouvoir avancer qu’elle prépare une rébellion ? "
Taishi - " Elle a investi le Sanctuaire et fait tuer femmes et enfants. Je ne saurai jamais me montrer trop prudent vis-à-vis de cette déesse démoniaque. "
Lena, en se relevant, permet à Taishi d’admirer le reste de son allure. Son ventre cesse d’être protégé à hauteur des hanches, laissant sortir de sous la Cloth de la Boussole un tissu violet servant de jupe. Ses douces et grandes jambes sont tout de même couvertes d’un cuissard et ses pieds de petite taille, sont protégés par des escarpins.
Lena - " Je vais rassembler quelques hommes pour faire une ronde dans le domaine. Que dis-tu d’organiser le rationnement des hébéïens aujourd’hui ? "
Taishi - " N’est-ce pas au tour d’Apodis ? "
Lena annonce d’un ton suffisant :
Lena - " Il doit certainement s’entraîner avec l’Alcide des Juments de Diomède comme ces derniers jours ! "
Taishi rétorque d’un ton méprisant :
Taishi - " Alors il s’abaisse au même niveau que Philémon du Lièvre qui ne prospecte plus sans la présence de l’Alcide de la Biche de Cérynie ! "
Médisants, les deux Saints de bronze abandonnent le lieu des festivités…
A l’est, dans la forêt, d’immenses arbres sont abattus et s’échouent sur le sol.
Au beau milieu d’eux, un homme vêtu d’une tunique turquoise qui s’arrête à hauteur des cuisses et ceinturés d’une lanière de cuir, gesticule pour éviter les chutes des troncs.
Son pantalon couleur sable, descend jusque dans ses spartiates, ficelées autour de ses tibias.
L’habit s’accommode à merveille à ses cheveux mi-longs, tant le bleu est similaire.
A l’inverse, ses yeux couleur sang apportent à la fois compassion et crainte à son adversaire vêtue d’une très courte robe grenat et d’un short de la même couleur.
Les deux rivaux s’engagent dans un corps à corps prononcé, dans lequel leurs peaux brunies par la longue période estivale qui s’achève subissent de violents heurts.
Finalement, les poings bardés de bandelettes de papiers qui remontent jusqu’aux coudes du jeune homme atteignent le masque de la jeune femme qui dégage une allure très psychotique. Elle est repoussée en arrière. Le choc décoiffe les cheveux taupe qui viennent en de nombreuses pointes dans le dos et sur le front de Juventas.
Grande, mince, à l’allure très féminine, la veuve d’Iphiclès cesse alors d’adopter une pose de combat et prononce d’une voix très douce :
Juventas - " Tu as gagné ! J’arrête ! "
Apodis abandonne aussitôt sa position offensive et, sûr de lui, ne voit pas venir le coup à une vitesse proche de celle de la lumière de l’Alcide qui se ravise.
Il est plaqué au sol, après avoir encaissé le coude de l’autochtone en plein nez.
Juventas - " Tu viens d’oublier une règle de base : il faut toujours rester sur ses gardes ! "
Apodis reste allongé, jambes et bras écartés en grognant :
Apodis - " Tu y es peut-être allé un peu fort là ! Non ? C’est malin… "
Sans difficulté et sans prendre appui avec ses mains sur le sol, il relève son buste et expose son nez gonflé duquel s’écoule beaucoup de sang :
Apodis - " … je vais avoir l’air de quoi moi maintenant ? "
Juventas pose sa main sur le visage masculin et vicieux de son masque pour essayer d’étouffer son fou-rire. Bon joueur, Apodis rit à son tour.
Juventas lui tend la main pour l’aider à se remettre debout alors qu’il joint ses deux mains devant l’hémorragie en jetant quelques regards noirs entre deux rires nerveux envers elle.
Ils approchent le bras d’eau qui relie le détroit du nord/est à la citée par lequel Apodis et ses hommes ont investi l’île il y a bientôt six mois. Là, elle lui nettoie le visage.
Juventas s’applique à caresser délicatement la colonne nasale de l’occupant d’Yíaros.
D’abord anodin, son geste finit par l’embarrasser lorsque Apodis lui frôle les doigts en prenant le relais. Ils restent de longues minutes immobiles sans se quitter du regard, ne sentant qu’un profond malaise mêlant ranc½ur et passion.
Finalement, c’est Apodis qui recule le premier en fuyant la situation inconfortable d’une boutade :
Apodis - " Si mes hommes me questionnent, je n’aurai qu’à dire qu’un caillou résultant d’un bris de roche m’a écrasé le visage ! "
Juventas - " Oui, il serait plus judicieux que tu avances ce genre d’excuse plutôt qu’avouer qu’une femme chevalier a été capable de te faire cela ! "
Apodis est amusé et propose de rentrer :
Apodis - " Le temps passe, je suis de corvée pour la distribution des vivres. Nous devrions regagner la citée. "
Juventas hésite un instant :
Juventas - " Revenir à deux, comme nous le faisons trop régulièrement, poussent les tiens comme les miens à l’incompréhension. Il est encore trop tôt je pense pour afficher une envie de réconciliation entre Saints et Alcides, les esprits sont encore trop revanchards dans les deux camps. "
Apodis - " Tu as sans doute raison. Pars devant dans ce cas. Nous nous reverrons bientôt. "
Juventas entame le chemin du retour :
Juventas - " Je l’espère. "
Apodis reste au bord de l’eau à voir s’éloigner Juventas. Son sourire s’est atténué et son visage s’est fermé.
Son esprit est appelé par le souvenir de Mujakis et Sperarus, sa mère et son fils. Ses yeux se perdent, dans le cours d’eau qu’il a emprunté il y a six mois.
Rongé par la culpabilité du fait de son rapprochement avec ceux qui ont ôtés la vie aux siens, Apodis choisit de remonter le fleuve pour rejoindre la mer Egée à la sortie de l’île, très interrogatif.
Il est vrai que ses questions sont toutes légitimes : « Comment un peuple aussi docile a-t-il pu causer une telle barbarie au Sanctuaire ? Pourquoi est-ce que je ressens chaque jour le cosmos bienfaisant de Hébé donner du baume au c½ur aussi bien aux siens, qu’aux occupants de l’île alors que jamais je n’ai senti celui d’Athéna ? Et Circinus que j’ai abattu froidement, tandis qu’il espérait m’apporter les preuves d’une machination ? Sans oublier Yakamoz de la Grue qui préféra se ranger dans les rangs de Hébé puisqu’elle ne retrouvait plus en la politique du Sanctuaire les idéaux prônés par la grande Athéna ? Enfin, quel intérêt à rester sur une île, où la divinité captive a accepté sans broncher de signer un traité de paix en donnant les pleins pouvoirs du Sanctuaire contre la vie sauve de son peuple ? Une décision aussi réfléchie, est-elle vraiment celle d’une divinité sanguinaire assoiffée de pouvoir ? »
Ces doutes s’additionnent à ceux qu’Apodis éprouvait avant la Guerre Sainte contre Hébé et qui ressurgissent depuis plusieurs semaines. « Ma rage m’a-t-elle fait oublier qu’auparavant les actes du Pope ne me semblaient pas tous légitimes ? »
Soudain, à l’approche de la plage, l’attention du descendant de Tenma de Pégase est retenue par quelques bouts de métaux qu’il ramasse :
Apodis - " Qu’est ce que… ? On dirait des morceaux des tenus que portent nos soldats ! "
La promenade du chevalier de l’Oiseau de Paradis se transforme vite en démarche d’investigation. A mesure que sa route se poursuit, il découvre une lance athénienne et une longue trainée de sang qui aboutie à la sortie de la forêt, sur la plage. Là, dans le sable un homme à plat ventre ne bouge plus que quelques doigts.
Apodis coure jusqu’au ressortissant athénien. Il le retourne et le prend dans ses bras. L’homme est déshydraté, pâle et couvert d’ecchymoses :
Apodis - " Qui es-tu ? Ton nom soldat ! "
Il a beau avoir les yeux ouverts, l’homme semble ne plus voir quoi que ce soit. Il reconnait seulement le son de la voix d’un de ses sergents :
Soldat - " Seigneur Apodis ? "
Apodis - " Pourquoi es-tu dans cet état ? Une révolte hébéïenne se prépare-t-elle ? "
Le soldat sourit en crachant du sang :
Soldat - " N… Non… Jamais de la vie… "
Il est prit d’une forte quinte de toux qui lui fait élargir ses plaies et perdre davantage de sang :
Soldat - " Ce sont les nôtres qui m’ont fait ça. "
Apodis - " Pourquoi ? Aucun sergent n’a été informé de la mise à mort d’un soldat. Et encore moins dans d’aussi atroces conditions. Qu’as-tu fais ? "
Soldat - " J’ai simplement culpabilisé… "
Partie 1 : FIN