Comme le disait un grand philosophe fan de clown :
Les repas le dimanche midi
Comme j'sais plus qui disait...
Le bonheur ça se trouve pas en lingots
Mais en p'tite monnaie
Je ne sais pas vous mais moi j’ai bien connu ces repas et surtout ces après-midi en famille, chez les grands-parents. Et c’est parce qu’avec du recul je m’aperçois de l’importance qu’ont eu ces repas sur ce que je suis devenu aujourd’hui que je leur dédie ce blog.
Aller petite explication en guise de billet d’introduction.
Déjà commençons par une description des héros de mon histoire.
Je commence par mes grands-parents. Mon grand-père est le dernier d’une famille de dix-sept enfants, le seul à être né en France. Orphelin de mère après qu’elle ai été retrouvée morte dans un champ (d’après la rumeur elle aurait été résistante et abattue par de gentils américains), il a été élevé à la ferme par ses s½urs et à l’ombre d’un père qui refusait que l’on se plaigne de leur misère car « la France avait eu la générosité de les accueillir », eux qui fuyaient le régime de Mussolini.
Ma grand-mère quant à elle est issue d’une noblesse déchue, sans titre et sans richesse. Son père n’avait plus comme seule fierté que son travail de contremaître dont il usait pour flatter son ego en rabrouant ses subalternes, dont mon grand-père. Quel ne fût pas le scandale quand il appris que sa fille allait se marier avec l’un de ses ouvriers, un « pioust » en plus, qui de surcroît avait eu le culot de la mettre enceinte.
Mes grands-parents ont eu une vie difficile, à tenter d’assumer et d’assurer chaque étape de leur vie sans jamais se plaindre ; l’un par reconnaissance envers le pays qui l’a accueilli, l’autre par fierté et parce qu’on lui a toujours appris à tenir un rang qui pourtant s’est effondré depuis déjà deux générations.
Mes grands-parents étaient de droite. Une droite populiste qui méprise les gens de gauche, les soixante-huitards et les immigrés, mais aussi une droit populaire. Bien que clamant haut et fort qu’il y a trop d’arabes en France, mon grand-père passait tout son temps libre dans le square à jouer aux boules avec les Algériens, tunisiens et marocains du quartier… Et il ne fallait pas dire du mal de l’un d’eux (vous voyez, le genre « mais lui c’est pas pareil, c’est pas un arabe, c’est Nasser »).
Ensuite ma mère. C’est un peu le Don Quichotte moderne, à se battre contre des moulins jusqu’à s’attirer les pires ennuis et ensuite attendre que les autres viennent lui sauver la mise pour finalement se transformer en Caliméro, c’est vraiment trop injuste.
Ma mère était communiste. Là aussi une communiste populaire c’est à dire quelqu’un qui se bat contre les racistes et fascistes de tout poil mais qui refuse que son fils aille jouer avec ses amis parce que parmi eux il y a Aziz mais « c’est pas parce qu’il est arabe c’est parce que c’est comme ça et puis c’est tout ».
Mon père. Con, inculte, sale, égoïste, alcoolique. Et je ne grossis aucunement le trait. Il est à ranger parmi « les pires ennuis » de ma mère. Malgré tout, les années passant, je m’aperçois que lui aussi était à plaindre : il était en permanence rabaisser par ma mère, et pour cause, qui pourtant restait avec lui, comme si elle l’utilisait pour avoir des raisons de se faire plaindre.
Et pour finir ma tante et mon oncle. Deux personnalités parfaitement opposées. Ma Tante c’était un peu Mère Térésa, tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, elle détestait tout ce qui pouvait provoquer le conflit (je parle au passé parce que la vie a fini par lui faire perdre sa naïveté et la transformer en « méfier-vous, les gouvernements vous mentent »). Elle était considérée comme la simplette de la famille.
Mon oncle à l’opposé était le petit génie. Plus jeune que ses s½urs de dix ans, il fait partie de cette génération qui a pu commencer à faire des études. Commercial, militant parmi la jeunesse chiraquienne (puis déçu par trop de souplesse, il « sombrera » dans le sarkozysme) il incarnait tout ce que ma tante n’était pas : culture, droiture, rigueur, ambition (là encore je parle au passé car avec le temps, heureusement, il s’est humanisé).
Voilà, c’est ma famille, des personnalités diverses, des destins variés. Et tous les dimanches on se retrouvait tous chez mes grands-parents. Parfois il pleuvait, parfois il faisait beau ; parfois de bonne humeur, parfois moins ; en tout cas ça finissait toujours de la même façon : ça parlait politique.
C’était toujours mon grand-père qui lançait les débats. Des fois la discussion s’imposait d’elle-même, des fois elle sortait de nul part, comme si mon grand-père avait préparé son introduction depuis trois ou quatre jours déjà. Alors les camps se formaient, toujours les mêmes. D’un côté mon grand-père, de l’autre ma mère. Ma grand-mère qui râle parce que mon grand-père repart dans ses grands discours mais qui très vite lui emboîte le pas. Ma tante qui se place du côté de ma mère, tout en lui rappelant subtilement que charité bien ordonnée commence par soit même et qu’elle n’est pas tout à fait un modèle flagrant de philanthropie. Mon père qui ne comprenait rien de ce qui se disait mais se plaçait toujours du côté de mon grand-père ou plutôt contre ma mère, comme par vengeance. Mon oncle neutre, se contentant de faire la morale à tout le monde, de pointer les imprécisions des deux camps, de se montrer supérieur à tous en étalant sa science. Et puis moi.
Au début je m’éclipsais dans la chambre pour aller jouer pendant que tout ce petit monde s’engueulait copieusement. Puis, en grandissant, j’ai commencé à rester avec eux à table, les écoutant en m’empiffrant de noix. Et enfin je me suis mis à participer à ces grands débats familiaux. En général plutôt ni d’un côté, ni de l’autre, plutôt énervé par les énormités débitées par mon grand-père et la mauvaise foi flagrante de ma mère.
Les débats me paraissaient de plus en plus violents. Ce n’était peut-être qu’une impression, c’était peut-être seulement parce que je n’avais plus de noix à manger, c’était peut-être tout simplement parce que je n’étais plus spectateurs mais participant. Le fait est que dans ces moments là, je détestais mon grand-père, vraiment, j’en ai même pleuré parfois. A ce moment là je ne réalisais pas la chance que j’avais de prendre parti à ces débats familiaux, aussi violents soient-ils, à être écouté, à être contrarié alors que je n’avais que 12 ans et que dans d’autres milieux on m’aurait juste dit « occupe-toi de tes affaires, ça concerne les adultes ».
En partant, une fois la tension redescendue, sauf pour moi trop passionné et trop jeune pour réussir à prendre le recul nécessaire, mon grand-père me chambrait et j’avais le droit au coup de béquille dans le derrière en passant le pas de la porte. Je vois encore son ½il brillant de moquerie. A ce moment là, ce court instant, je le haïssais. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ce n’était pas de la moquerie mais tout simplement de la fierté, la fierté d’avoir un petit-fils qui, contrairement à lui, à la capacité de se révolter.
Aujourd’hui les repas de famille sont moins fréquents, les occasions plus rares, mais ils sont toujours aussi animés. Les camps sont les mêmes, les débats aussi violents mais c’est une violence feinte. C’est avant tout une complicité entre mon grand-père et moi, une fausse dispute, un jeu.
Ces débats font partie de moi, ils ont participé à ma construction et j’ai du mal à m’en passer. Parfois j’essaie d’en lancer un à la maison, mais le soufflé redescend immédiatement, ça ne prend pas avec Didisel, je suis moins doué que mon grand-père (lui, quand il s’y essaie, il arrive à faire démarrer Didisel au quart de tour). Du coup je débats avec moi-même. Je m’en sors plutôt pas mal même, j’arrive à trouver des arguments que je descends immédiatement, parfois je me cloue le bec moi-même. C’est assez enrichissant mais pas très sain. Il m’arrive même de me faire la gueule à moi-même
C’est pour ça, pour maintenir mon fragile équilibre psychologique que je me suis décidé à me lancer dans l’écriture de billets, pour perpétrer la tradition des dimanches après midi chez Pépé.